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Feu de rage

De 2020 à 2021, le photographe Maxime Riché a documenté les ravages des méga feux à Paradise, en Californie. Dans un livre publié chez André Frère, ses somptueux paysages captés au film infrarouge et les portraits bruts de ses rescapés livrent un regard singulier sur cette catastrophe climatique.

Le 8 novembre 2018, en seulement quatre heures, Camp Fire, un gigantesque incendie rase la ville de Paradise, au nord de la Californie. Le bilan est lourd – 89 morts, 18 800 infrastructures détruites – et plonge de nombreuses familles dans la précarité. Depuis, les flammes menacent ce coin paradisiaque chaque année. 

À l’été 2020, le North Complex Fire brûle à quelques kilomètres de là. L’année suivante, de juillet à octobre, le Dixie Fire, l’incendie le plus important de l’histoire de l’État, consumera près de 400 000 hectares. Le départ de feu s’est déclaré sur les mêmes collines, traversées par les lignes électriques à l’origine du feu meurtrier de Paradise. 

Le photographe documentaire Maxime Riché, qui vit à Paris, s’est rendu sur place à deux reprises pour raconter cette tragédie qui laisse les populations dans le désarroi. « Pour rencontrer ceux qui ont décidé de reconstruire leur “paradis” dans un lieu qui semble aujourd’hui brutalement inhospitalier », explique le photographe. « Certains s’accrochent à une mythologie personnelle propre aux cultures pionnières de l’Ouest américain, d’autres sont encore paralysés par le traumatisme qu’ils ont vécu, incapables d’y échapper. Tous prennent peu à peu acte d’une nouvelle réalité, entre la conservation du lieu qu’ils chérissaient et un nouveau rapport à un paysage blessé au cœur. »

6189 Pentz Road. – Juillet 2021. © Maxime Riché
6189 Pentz Road. – Juillet 2021. © Maxime Riché

Pour saisir la beauté et la fragilité des lieux, choisi tant pour la résilience de ses habitants que pour la symbolique associée à son nom, il a opté pour une pellicule infrarouge couleur qui a pour effet de transformer le blanc des nuages en jaune de fumée et le vert des arbres en rouge de feu. Une métaphore de l’impact de l’incendie sur la nature, et du feu qui rôde autour de la végétation encore intacte.

Plusieurs photographes avant lui se sont essayés à cette technique, jadis utilisée par l’armée pour les missions de reconnaissance. Ainsi, en 2010, le New-Yorkais Richard Mosse documente la guerre civile en République démocratique du Congo dans Infra Series, une œuvre spectaculaire marquée par l’utilisation du film Kodak Aerochrome III Infrared 1443, qui fait prendre au conflit des teintes rosées.

En 2020, dès le premier jour du confinement consécutif à l’épidémie de Covid-19, le photographe français Antoine d’Agata parcourt les rues de Paris avec un appareil thermique pour enregistrer, à sa manière, l’épisode viral qui a fait de la ville un étrange théâtre d’âmes errantes, de têtes baissées et de corps fuyants.

Dans la série de Maxime Riché, le procédé fait écho à l’émoi ressenti par les hommes et femmes qui peuplent ces paysages dévastés. « Les couleurs flamboyantes ponctuent la normalité ténue d’une vie qu’ils tentent de reconstruire. Ces photographies agissent comme des “flashbacks” suggestifs de l’enfer que les habitants de cet Eden déchu ont traversé, elles servent à rappeler la mémoire des flammes gravées sur la rétine des survivants qui se reconstruisent dans l’ombre du prochain désastre. »

Ce travail photographique est le fruit d’une enquête de fond. Les nombreux témoignages recueillis par le photographe documentaire parsèment le livre qu’il en a tiré, intitulé simplement Paradise et disponible chez André Frère, et disent la détresse des rescapés. Celle d’Amanda : « La culpabilité du survivant s’est accompagnée d’un grand nombre de pensées intrusives. J’avais des flashs de l’incendie et des arbres en feu et des cris des gens qui ne pouvaient pas sortir. » Ou de Mary : « Nous devions prouver que nous vivions ici. Mais nous n’avions pas de papiers pour le prouver. Tout a brûlé. C’est la pagaille ici et tout le monde s’en fout. »

Mary McEllroy, Feather West Travel Trailer. Mary attend depuis 3 ans le dédommagement de l’entreprise Pacific Gas & Electric suite à la perte de son trailer dans le mégafeu Camp Fire en 2018. Sans emploi depuis lors, elle a vécu dans sa voiture pendant 2 ans 1/2 et vient de s’installer avec sa soeur dans ce camping-car. – Juillet 2021 © Maxime Riché
Mary McEllroy, Feather West Travel Trailer. Mary attend depuis 3 ans le dédommagement de l’entreprise Pacific Gas & Electric suite à la perte de son trailer dans le mégafeu Camp Fire en 2018. Sans emploi depuis lors, elle a vécu dans sa voiture pendant 2 ans 1/2 et vient de s’installer avec sa soeur dans ce camping-car. – Juillet 2021 © Maxime Riché
Pearson Road. Trois adolescents partent pêcher au matin, dans la fumée du Dixie Fire qui brûle depuis quelques jours non loin de Paradise. – juillet 2021. © Maxime Riché
Pearson Road. Trois adolescents partent pêcher au matin, dans la fumée du Dixie Fire qui brûle depuis quelques jours non loin de Paradise. – juillet 2021. © Maxime Riché

L’ouvrage mêle aussi avec brio les images à l’infrarouge que des photographies documentaires plus classiques, aux couleurs proches de la réalité, sans que leur différence ne saute aux yeux. Le projet a également reçu le soutien du Centre national des arts plastiques, puis a remporté le Prix Dahinden – Une autre empreinte, dont l’édition 2024 a pour thème le feu. Le prix a la particularité de proposer au public de voter pour sa ou son photographe favori(e) parmi les trois lauréats, qui aura ainsi la chance d’exposer son travail à Paris Photo en novembre prochain.

Si Maxime Riché a photographié Paradise, c’est aussi pour dénoncer notre mauvaise relation au monde naturel, révéler notre capacité à nous adapter au changement climatique et documenter l’évolution de nos modes de vie imposés par ces nouvelles conditions. « Ma série invite à réfléchir au sens premier du mot apocalyptique : le récit de Paradise nous laisse entrevoir le prochain lieu, Australie, Brésil, Sibérie, Grèce, Turquie, ou ailleurs, qui devra passer par cette guérison après une catastrophe dont les causes sont, de plus en plus, humaines. Il suggère notre déconnexion toujours plus grande de la nature, notre hubris, notre outrecuidance à vouloir à tout prix aller à son encontre. »

Entrée de la ville de Paradise. Juillet 2021. © Maxime Riché
Entrée de la ville de Paradise. Juillet 2021. © Maxime Riché

Rappelons que les méga-feux, comme on les appelle, ne sont pas des phénomènes propres à la Californie, même si l’État américain en est l’un des théâtres les plus spectaculaires. Les pics de chaleur inédits enregistrés en 2022, et les incendies dévastateurs qui s’en sont suivis, ont particulièrement impacté la France. En Gironde, cet été-là, de gigantesques incendies ont brûlé près de 30 000 hectares de forêt. La forêt de Brocéliande en Bretagne et la Corse n’ont pas été épargnées. Bienvenue dans ce que Stephen J. Pyne, professeur émérite à l’Université d’État de l’Arizona, nomme le Pyrocène. L’âge du feu.

Paradise, de Maxime Riché, est disponible aux éditions André Frère au prix de 49€.

Pour soutenir Maxime Riché comme lauréat exposé à Paris Photo dans le cadre du prix Dahinden, cliquez ici.

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