Le bijou bling bling, c’est le « Superman juice ». C’est Slick Rick et ses doubles chaînes à grosses mailles d’or, sacrées d’une couronne d’un rouge impérial, sertie de pierres précieuses. Un sourire de grillz en diamant. C’est l’image iconique, par laquelle le livre débute. C’est également l’image qu’on se fait de la réussite, surtout celle d’un rappeur. Baigné d’or, de diamants et tout sourire.
Mais plus qu’un apparat, c’est une lourde collection que l’artiste porte sur lui. Les rappeurs n’achètent ni voitures, ni lofts au départ. Ils achètent de l’or. Ces chaînes, pesant plusieurs millions de dollars, représentent le premier investissement d’un artiste qui « perce dans le game ». L’or rend le succès visible au quartier.
Plus les mailles des chaînes sont grosses, plus les diamants sont éclatants, plus l’idéal d’un avenir prospère brille dans les yeux des enfants d’immigrés, habitants de ghettos : celui du rêve américain accompli.
Auteur du pavé Ice Cold, publié par Taschen, Vikki Tobak précise : « Quand la rue est votre échappatoire, vous portez votre monde sur votre corps : votre nom, votre quartier, votre signe astrologique, votre appartenance à un crew, votre clin d’œil à la Nubie sur vos boucles d’oreilles. »
En plus de faire rêver les enfants, les chaînes en or attisent la concurrence. On n’en reste pas moins aux Etats-Unis et le rêve américain se développe comme une illustration du capitalisme : il faut posséder des richesses, les exposer pour asseoir son pouvoir et sa fortune. C’est la stratégie adoptée par les rappeurs à tour de rôle.
« Greed is Good »
A partir des années 1980, les quartiers pauvres de New-York sont dévastés par le chaos social et l’épidémie du crack. Un nid idéal à l’incubation de la violence, et au développement d’une richesse démesurée, celle des trafiquants de drogues.
Les premières success stories des hommes afro-américains pauvres. Ces modèles représentés dans les films débordant de stéréotypes comme « Les nuits rouges de Harlem » de Gordon Parks ou encore « Super Fly » de Gordon Parks Jr, deviennent les premières sources d’inspiration du hip-hop.
Elles donnent naissance au gangsta rap, un rap particulièrement violent dont les codes reposent sur du monde de la night : on parle de règlement de comptes, de prostitués, d’argents et bien entendu, de stupéfiants.
Dans ce monde, les rappeurs se veulent créateurs de tendances. Les bijoux ostentatoires personnalisés, notamment les chaînes en or, exposent le statut social de l’artiste, de pouvoir et de fortune. Vikki Tobak explique l’évolution des ornements : « Avec l’ascension du hip hop, les bijoux sont devenus plus individualistes, plus personnalisés et progressivement, sont devenus plus imposants et plus ostentatoires. »
Une hiérarchie d’autorité et d’influence se crée entre les rappeurs. Certains deviennent intouchables comme 50 Cent, qui n’hésite pas à jouer de sa réputation d’ancien dealer à la gâchette facile pour se faire respecter.
Pire, pour grimper cette échelle de pouvoir, la tendance des chaînes volées à l’arraché flambe. Le racket d’une chaîne en or qui témoigne de l’ascendant de l’artiste, est le signe d’humiliation ultime. Tel un coup d’État, le pouvoir est renversé, le respect de sa street cred n’est plus. Baisser du rideau, c’est une fin de carrière.
Une Histoire d’Or
Vikki Tobak donne la parole aux rappeurs tout au long de Ice Cold. Elle précise l’origine du chaînon qui relie les rappeurs afro-américains à l’or. Après des siècles d’esclavage et un héritage post colonial traumatisant, le modèle cinématographique de la blaxploitation gagne en popularité. Il tente de représenter des personnages noirs dans des rôles positifs sur le grand écran pour réconcilier une partie de l’Amérique.
Le Hip Hop s’impose alors comme allégorie d’un patrimoine longtemps perdu. Ce genre musical populaire veut réhabiliter les cultures et les traditions de pays anciennement colonisés. Les rappeurs voient dans la récupération de l’or, un leg légitime de leurs ancêtres.
Slick Rick raconte ses bijoux comme « mon costume de super-héros, [comme] une extension de ma belle peau noire. C’est un cadeau des ancêtres qui se sont assis sur des trônes et ont régné avec des anneaux et des pierres de la taille d’un bloc de glace. »
Le bijoutier vietnamien Johnny Dang, spécialiste des commandes excentriques de rappeurs, raconte son approche des grillz dentaires. Au Vietnam, les grillz en or existent depuis plusieurs siècles. Au lieu de combler une dent malade, les Vietnamiens optent pour une couverture métallique, pour protéger leur dentition.
La noblesse du matériau permet de définir leur statut social. Un grillz en or expose la richesse de l’individu à tous ses voisins et ses fréquentations.
Johnny Dang, le King of Bling, transpose cette reconnaissance sociale dans son travail d’orfèvre aux Etats-Unis. Une pratique que les rappeurs partagent. En se nommant par des titres royaux tels King T, Queen Latifah ou encore Slick Rick The Rich Ruler – Le souverain riche -, les « young kings » aspirent à s’apparenter aux anciens royaumes et empires d’Afrique.
Slick Rick illustre parfaitement cette idée. Lorsqu’il porte ses bagues énormes, ses chaînes massives, ses dents en or, et qu’il superpose toutes ces couches de bijoux les unes au-dessus des autres, il ressemble à s’y méprendre au Asantehene, roi de l’empire historique Asante (Ghana).
Lors des rituels religieux, le monarque est couvert d’or et est intronisé sur un tabouret d’or également. Pour Slick Rick, exhiber ses joyaux est sa manière de contribuer à la société afro-américaine. Il estime récupérer le travail d’orfèvres des anciennes communautés, pour faire renaître des ornements perfectionnés.
« All eyez on me »
Finalement, l’objectif premier des artistes restent le même : « Ne surtout pas être inconnu », rappelle le journaliste Rob Marriott. Il n’y a pas de grandes différences entre Elizabeth Taylor et Slick Rick, si ce n’est leur univers artistique.
Les rappeurs dépassent leur statut de simples clients et deviennent des experts du bijoux. « J’avais l’habitude de m’asseoir dans la bijouterie pendant des heures pour me renseigner sur ce qui me plaisait », raconte le rappeur Kash. « Je voulais tout savoir sur les diamants pour commander à mon bijoutier, précisément ce que j’avais en tête. »
Malgré des débuts controversés, les artistes de Hip Hop qui étaient perçus comme des flambeurs fantasques séduisent un public grandissant. Le Hip Hop étonne et se déploie comme le genre musical le plus populaire. Il est diffusé et écouté partout : le style Hip Hop n’appartient plus à une culture particulière, né dans le Bronx.
Ce style musical est distribué dans les publicités, au cinéma, jusqu’à séduire les bijouteries de luxe. Les grandes maisons du bijou s’arrachent les collaborations que les rappeurs n’osaient imaginer : A$AP Ferg devient l’effigie de Tiffany, Cartier sponsorise Kanye West etc.
Le Hip-Hop reste l’illustration d’une ascension sociale rêvée. Celle de jeunes afro-américains et portoricains sans réseau, qui ont construit un empire du rap par eux et pour eux.
Ces anciens déchus devenus célébrités reconnues, continuent à porter leurs premières chaînes. Celles qui ont pavé leurs premiers pas sur scène. Talib Kweli dira ainsi : « Les chaines signifiaient la liberté, pour un jeune garçon noir du quartier. »
Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History, Vikki Tobak, Taschen 80€