The Heart is a sandwich est le genre de livre que l’on emporte dans sa valise pendant les vacances et que l’on feuillette, sourire en coin. Fruit de la rencontre fortuite du photographe avec l’Italie, ce petit livre de la taille d’un roman de poche retrace les pérégrinations de Jason Fulford en 12 récits photographiques.
De 2007 à 2022, le photographe américain arpente les rues, les ateliers, les garages et assemble les pièces d’un grand puzzle photographique. Du plâtre, du bronze, du marbre : dans « The cellar », Jason Fulford photographie la cave où sont entreposées bustes et statues. Puis, on découvre le désordre du garage du photographe Guido Guidi, ainsi que le studio de l’architecte Achille Castiglioni, à Milan. Bien décidé à dévoiler l’envers du décor, le photographe nous offre un accès inhabituel aux coulisses de la création.
Sandwich photographique
La série « Rosso Rossi », est accompagnée des notes de l’architecte italien Aldo Rossi : « Cette capacité à utiliser des morceaux de mécanismes dont le sens global est en partie perdu m’a toujours intéressé, même sur le plan formel. Je pense à une unité, à un système, fait uniquement de fragments rassemblés. »
Des fragments rassemblés, voilà précisément une description du travail de Jason Fulford. Les angles, les formes géométriques, les rayons du soleil et surtout le rose industriel des murs italiens, sont tout autant d’éléments qui se répondent.
Et c’est peut-être ce que le photographe semble nous dire à travers le titre de l’ouvrage : le cœur est un sandwich que l’on garnit avec les ingrédients que l’on aime. Comme la saveur qui se révèle lorsque les bons ingrédients sont réunis, les fragments ne font sens que lorsqu’ils sont ensemble. Une vision partagée par Alain Robbe-Grillet dans son recueil de nouvelles Instantanés. Grande inspiration pour Jason Fulford, l’écrivain du nouveau roman y décrit le monde comme une collection d’objets, en perpétuel mouvement les uns par rapport aux autres.
Un nouveau langage visuel
Pour comprendre le monde de Jason Fulford, il faut savoir lire ses images. Au format 6×6, elles créent des combinaisons, évoluent et fonctionnent ensemble. Pour les déchiffrer, il faut du temps et de la pratique, comme le nécessite l’apprentissage d’une langue étrangère. Ce langage visuel qu’il développe est semblable à celui des œuvres de Robbe-Grillet. Une écriture immédiate, spontanée, et des descriptions qui vont droit au but, sans explications complémentaires. Le spectateur se voit immergé dans l’œil du photographe, au plus près de son objectif.
À la manière de Picture Summer on Kodak Film (2020), The Heart is a Sandwich est un livre kaléidoscope, un puzzle en image, un jeu sans mode d’emploi. Fulford y écrit son monde en images. Ses histoires se racontent sans sous-texte, donnant lieu à une multitude d’interprétations.
Sa série « Metamorfosi » relate ainsi les expérimentations sur une coppia ferrarese, un petit pain torsadé produit dans la province de Ferrare. Tout commence lors de sa confection dans la boulangerie Panificio Perdonati. Puis la viennoiserie, qui semble presque avoir sa propre individualité, évolue dans l’environnement et prend un bain de soleil sur le pare-brise d’une voiture. On la suit jusqu’à son moulage chez des artisans, où la spécialité italienne se voit métamorphosée en une rigide sculpture de bronze. Mêlant performance, humour et art du sous-entendu, les images de Jason Fulford sont la preuve que l’on peut s’amuser avec la photographie.
The Heart is a Sandwich, Jason Fulford, 320 pages, 40 €.
