Etre photographe ukrainien(ne) alors que son voisin russe envahit son pays, c’est d’abord se frotter pour la plupart d’entre eux à un nouveau terrain, des conditions de travail risquées, des images qu’ils n’imaginaient peut-être pas prendre tout près de chez eux. C’est surtout une histoire humaine déchirante. Ils ont la même que celles des civils qui fuient l’Ukraine, ou ceux qui restent pour la défendre, à la différence qu’ils portent un appareil photo autour du cou. Comment être impartial, délivrer un message honnête, quand on est touché par des sentiments si violents?
Bien sûr, les quelques images que nous publions aujourd’hui ne reflètent qu’une facette du conflit. Elles ont été prises en des lieux différents, racontent des histoires différentes. Les regards de ces photographes se sont portés vers leur peuple, leurs enfants, les lieux où ils fuient, se réfugient, les lieux où ils sont touchés de plein fouet aussi bien sûr.
Pavel Petrov, l’un d’eux, nous a envoyé dans son flot d’images fixes une petite vidéo en lecture sur son ordinateur, re-filmée dans le noir avec son téléphone portable. Elle montre un pompier qui éteint un feu. « C’est une camera go pro sur mon casque. Ceci est mon travail. » Un silence et puis il poursuit: « Des cadavres. »
Nous préférons ne pas vous montrer cette vidéo, disponible sur les réseaux sociaux. Mais le geste de Pavel Petrov, partager autant de choses possibles avec le reste du monde, témoigne de la mission que se sont donnés les photographes ukrainiens qui couvrent « leur » guerre: informer, au péril de leur vie.
Oksana Parafeniuk, 32 ans, correspondance du 1er mars 2022
Le traumatisme est permanent. Il est difficile de mettre des mots sur cette expérience dévastatrice que vivent tous les Ukrainiens. Mon mari, ma sœur et moi avons quitté notre maison et nous avons été dans 4 endroits différents au cours des 5 derniers jours. Je pense qu’il est important de comprendre à quel point il est plus difficile pour les photographes locaux de travailler ici, alors que nous vivons la guerre nous-mêmes, alors que nous sommes peut-être déplacés en quittant la maison avec le strict minimum de choses, ou en travaillant dans des conditions dangereuses, alors que nos amis et nos parents sont peut-être restés dans les villes sous les bombardements. La nuit où la guerre à grande échelle a commencé, je n’ai pas pu dormir en lisant les nouvelles, comme beaucoup d’autres nuits auparavant. Vers 5 heures du matin, j’ai entendu les deux premières explosions à Kyiv et j’ai réveillé mon mari. C’est un moment que je ne pourrai jamais oublier. Celui-là et beaucoup d’autres. Chaque seconde de cette guerre restera dans les mémoires.
Sergey Korovayny, 27 ans, correspondance du 2 mars 2022
Je suis un photographe ukrainien de la région de Donetsk, qui a été occupée par la Russie il y a 8 ans. Lorsque la Russie a ouvertement envahi l’Ukraine, je me suis réveillé à Kharkiv au son des explosions. Les trois jours suivants ont été un cauchemar. De Kharkiv, j’ai conduit jusqu’à Kyiv pour rejoindre ma femme. Nous avons passé des heures dans un abri, vu l’un des premiers groupes de saboteurs russes, et j’ai eu une terrible impression de déjà-vu, comme si j’étais retourné en 2014 et que ma ville natale était à nouveau annexée par les Russes. Nous sommes partis pour Lviv, et pendant deux jours, la route était pleine de désespoir, de mauvaises nouvelles, d’embouteillages et de pénurie d’essence.
À Lviv, cependant, j’ai réussi à transformer mon désespoir en action : documenter l’aide humanitaire et photographier tout ce qui se passe autour. Maintenant, je retourne à Kyiv et je suis prêt à continuer à documenter l’invasion russe, jusqu’à la victoire ukrainienne.
Pavel Petrov, 26 ans, correspondance du 3 mars 2022
Je veux que mon pays soit libre et je suis en guerre sur mon front, celui de la photographie. Je souhaite que le reste du monde ne voie jamais chez lui ce que voit ma patrie. Il est très difficile de travailler dans de telles conditions, mais cela me parait nécessaire de documenter ce qui se passe en Ukraine. Pour l’histoire et la vérité.
Oleksandr Chekmenov, 52 ans, correspondance du 4 mars 2022
En cette période de guerre, je suis certaines règles. Tout d’abord, un photographe doit sauver enfants et femmes. Ensuite, sauver ses négatifs et son appareil photo. Et ensuite seulement prendre soin de lui-même.
Ma fille Nastenka a 16 ans. Elle a refusé d’être évacuée: « Papa, c’est ma terre. C’est ma maison. Mes deux petits frères et mes amis sont ici. Je ne les laisserai pas. Je reste ici. » Je lui ai donc demandé de réaliser un film documentaire. Cette année, elle entrera à la faculté, pour devenir technicien opérateur. Ce travail sera son ticket d’entrée pour l’institut et immédiatement pour l’âge adulte aussi.
Quand je photographie les gens, j’essaie de leur parler. Cette femme sur la photo avec deux enfants et un lapin dans un sac vert… Elle s’appelle Alla Pushenko. Elle a 43 ans et elle se sent seule. Choquée et confuse, elle ne savait pas où aller. J’ai rangé l’appareil photo et j’ai suivi la première règle. Aujourd’hui, elle est en sécurité en Slovaquie.
Je suis loin d’être un phographe de guerre. Mais je continuerai à travailler à Kyiv sous les attaques militaires. Dans la ville qui n’abandonne pas.
Pour soutenir les journalistes ukrainiens qui couvrent actuellement la guerre, veuillez consulter le site de l’Institut international de la presse.