Le rugby est toujours un régal pour le photographe, je parle là de photogénie que ce sport, de par les affrontements, les courses, les « rendez vous » réguliers (mêlées, touches) offre comme variété de situations et de matière pour s’exprimer. Malgré tout, il y a moins de photographes vraiment spécialisés qu’en tennis ou en sports mécaniques où la densité du calendrier fait qu’ils n’ont guère le temps de faire autre chose.
Mais il y en a et le plus célèbre d’entre eux est Français. Michel Birot venait de la photo de mode et de reportages (Réalités, Dépêche Mode, Biba, 20 ans ou le Figaro Magazine). Mais dès le début des années 1990, il commence un travail personnel en suivant son beau-fils à l’école de rugby. Ce travail générera sa première exposition sur ce thème.
Dès 1995, il couvre la coupe du monde en Afrique du Sud pour le journal Libération ainsi que plusieurs éditions du Tournoi des V nations. Le virage est pris, sa nouvelle carrière commence. Elle connaîtra son apogée avec la création d’Attitude Rugby en 1998, un luxueux trimestriel noir et blanc de grande dimension qui devient l’écrin qui met en valeur son propre travail ainsi que celui de tous les grands photographes qu’il y convie.
Michel Birot a inventé un style, une nouvelle manière de raconter ce sport, de parler de la férocité des combats, de l’intimité des vestiaires et de la force des relations qu’il génère. Il laisse une œuvre, un hommage éternel à ce jeu et aux hommes qui le pratiquent.
Il a laissé un héritage et deux héritiers. Isabelle Picarel a grandi dans une famille carcassonnaise – cela aide – et qui après avoir collaboré régulièrement à la revue est aujourd’hui photographe officielle de la Fédération française de rugby et qui consacre, quand elle y trouve le temps, ses travaux personnels… au rugby.
L’autre hériter se nomme Julien Poupart, qui avait rencontré Michel Birot sur un terrain de rugby et presque immédiatement intégré Attitude. Ce fut comme une évidence, tant il était porté par son admiration pour le travail du maître et cette philosophie partagée. Il va rapidement grandir sous son égide discrète et se nourrir des peu de mots de Michel qui était plus ours que rossignol. Comme une sorte de mentor mutique qui ne dit presque rien mais transmet beaucoup.
Aujourd’hui la chrysalide est devenue papillon. Il fait du Julien Poupart, il est un photographe différent mais qui partage la même philosophie sur le jeu et l’image que le fondateur de la revue. Il peut ainsi perpétuer une œuvre et enrichir chaque jour un patrimoine photographique incomparable sur un jeu qui l’est tout autant.
A l’étranger, et bien naturellement, c’est la formidable école anglo-saxonne de photographes de sport qui marque son territoire. Tous s’y frottent à un moment ou à un autre de leur carrière, y compris les plus célèbres. Gerry Cranham « the pionneer », bien sûr, mais aussi et avec encore plus d’assiduité son fils spirituel, Mark Leech, fondateur de l’illustre agence Offside sports photography. Tous deux ont une approche complète du sport et particulièrement du rugby, se nourrissant du jeu mais aussi du contexte et de sa dimension sociale.
Il y aussi bien sûr les cadors de l’agence Getty, avec parmi eux la « légende » Bob Martin. Avec lui on est dans l’efficacité, son territoire est le terrain, rien d’autre, mais comme un tireur qui ne raterait jamais sa cible, quand l’action spectaculaire se présente, elle est dans le cadre. End of the story!
Pour qu’une iconographie soit riche, il faut aussi que les non spécialistes y apportent leur touche et leur savoir-faire. Le rugby est un sujet excitant même pour les plus grandes signatures. A la demande de la fédération néo-zélandaise qui souhaitait laisser une trace, créer un patrimoine, Nick Danziger, grand photojournaliste anglais est convié à suivre et partager la vie des All Blacks durant cinq semaines à l’automne 2010. Le rêve.
Soucieuse d’apporter quelque chose de différent, la fédération n’a ainsi pas choisi un photographe néo-zélandais, ni même un spécialiste de rugby. Son choix s’est porté sur la formidable capacité d’un homme à raconter les hommes, leurs vies et leurs histoires. Accompagné du journaliste James Kerr, Nick ne va pas se contenter de suivre l’équipe, il va aussi, porté par son inextinguible curiosité, parcourir le pays et passer des écoles de rugby aux paysages rudes et profonds. Le tout fera « Mana » un formidable reportage qui a donné lieu à un livre. Un témoignage pour les années futures.
Jodi Bieber, photographe sud-africaine multi primée (World Press à plusieurs reprises), est née, a grandi et vit au pays des Springboks, triple vainqueurs de la Coupe du Monde (1995-2007 et 2019). Alors le rugby, elle en a entendu parler…
Elle s’est frottée au thème à plusieurs reprises notamment avec son formidable travail sur une école de Tananarive à Madagascar, « The Life Rugby School », qui sort les enfants des rues et essaye de leur donner une éducation et de les sortir de la délinquance par le rugby.
Jodi Bieber a aussi fait briller la sensibilité de son regard pour raconter les nuits chaudes de Cardiff qui succèdent aux matches du XV gallois.
Pascal Maitre, collaborateur historique de National Geographic s’est aussi laissé tenter. Il avait joué pendant sa jeunesse et souhaitait rendre à un sport qui lui avait tant apporté. Le résultat d’un an de voyage sera fera: « La France du Rugby », un livre malheureusement aujourd’hui épuisé, qui est plus qu’un propos, plutôt une chronique. Une chronique du terroir à travers un sport qui contribue pour beaucoup à son harmonie et au regroupement de ses membres.
Reste le miracle, la photographie qui marque l’histoire, réalisée dans le cadre d’un reportage ordinaire et qui peut arriver à tous les photographes qui couvrent l’actualité du monde. Ian Bradshaw, Irlandais aujourd’hui installé à New York, travaillait pour AP (Associated Press) et il avait été désigné ce jour de l’hiver 1974 pour un Angleterre-France ordinaire à Twickenham. Il en ramènera cette pépite, cette image incroyable du premier streaker de l’histoire, Michael O’Brien, qui avait, à la suite d’un pari perdu, tenté de traverser le terrain entièrement nu.
Plusieurs photographes ont pu saisir la scène, mais leurs images sont banales à côté de celle-ci. Elle montre un streaker quasi christique, et raconte une ambiance décontractée, bon enfant, malheureusement si différente de notre époque, avec des bobbies décontractés qui raccompagnent gentiment l’impétrant. Le tout saupoudré de cet humour tellement anglais du policier qui masque l’objet du délit avec son casque.
Plus d’informations sur ces photographies, sur d’autres photographies de sport, et vente de tirages sur le site de la galerie, spécialisée dans le genre: www.jeandeniswalter.fr