En ce 14e jour de l’offensive russe en Ukraine, des bombardements ont touché la ville de Vinnystia et une petite ville à l’ouest de la capitale, Malyn. Située sur la mer Noire, la ville historique d’Odessa s’attend à des heures sombres. Depuis que les Etats-Unis ont annoncé un embargo sur les importations de pétrole et de gaz russes, la guerre a pris encore un autre tournant. En l’espace de 2 semaines, l’Ukraine a changé de visage si tant est que la guerre a un visage sauf, peut-être, celui de l’horreur.
Des pourparlers entre Ukrainiens et Russes ont mené l’armée russe à annoncer ce mercredi 9 mars un cessez-le-feu de 12 heures pour évacuer des civils même si nul ne sait s’il sera respecté. Les images d’Ukrainiens contraints de fuir de chez eux en rappellent d’autres en Europe. Dans les années 1990, les guerres des Balkans, en Bosnie et au Kosovo, avaient aussi provoqué d’énormes flux de réfugiés, environ 2 ou 3 millions, mais étalés sur une période de 8 ans. Là, ce même chiffre a été atteint en un peu plus de 10 jours.
Le 28 février, Ismail Ferdous, photographe originaire du Bangladesh, quitte New York en avion pour se rendre à Cracovie en passant par Varsovie. De Cracovie, il prend le train pour rejoindre la gare de Przemysl, point de ralliement des journalistes et des photographes mais aussi premier lieu de transition pour les réfugiés ukrainiens. Petite ville du sud-est de la Pologne située à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne, Przemysl compte généralement 60 000 habitants. Au mois de mars, les nuits y sont glaciales, la température atteint les -2°C ou -3°C. Depuis le début de la guerre, le maire Wojciech Bakun et ses habitants tentent d’accueillir au mieux le flux continu de réfugiés qui défilent à Przemysl.
L’UNHCR (United Nations High Commissioner for Refugees) dénote déjà plus de 2 millions de réfugiés ukrainiens qui auraient déjà fui vers les pays voisins. Ce nombre ne cesse d’augmenter de jour en jour et pourrait atteindre les 4 millions, voire plus. Dans un court tweet, Filippo Grandi, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a affirmé que « cette crise des réfugiés est celle à la croissance la plus rapide en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale ». Pays frontalier à l’Ukraine, la Pologne accueille le plus de personnes fuyant la guerre. L’UNHCR qui actualise en continu le nombre de réfugiés en dénombre plus d’un million en Pologne. À titre de comparaison, la Hongrie en accueille 190 000, la Slovaquie 140 000, et la Roumanie 82 000.
Arrivé à la gare de Przemysl, Ismail Ferdous qui a l’habitude de documenter les crises migratoires a l’impression « d’arriver dans un monde différent ». « C’était dingue, je ne croyais pas être en Europe », raconte le photographe. « J’ai d’abord vu une femme blanche avec dans ses bras sa fille, pas le genre de réfugiés que j’ai l’habitude de voir. Une fois dans le hall de la gare, j’ai croisé des Indiens, des Afghans, des travailleurs migrants et surtout beaucoup de familles. »
Dans cette gare, se croisent des réfugiés qui fuient les bombes, mais parfois aussi, dans le sens inverse, des jeunes hommes qui regagnent le pays pour tenter de le défendre. C’est l’histoire de ces jeunes hommes d’origine géorgienne ou ukrainienne, vivant aux Etat-Unis, croisés dans l’avion de New York à Varsovie, qui n’ont jamais touché une arme de leur vie mais partent se battre en Ukraine. Les réfugiés sont unanimes : « Ce conflit a des conséquences horribles, mais il a provoqué quelque chose de fort: l’unité du peuple ukrainien. Nous sommes déterminés à gagner cette guerre. »
Des volontaires distribuent de la nourriture et des vêtements, ils aident aussi les femmes et les hommes à retrouver leurs proches. « C’est organisé. Même si le premier jour, j’ai eu l’impression que les gens de couleur n’étaient pas traités de la même façon que les autres. Mais ce n’est qu’un sentiment. » Dans un article du New York Times, certains étudiants étrangers ont d’ailleurs témoigné que les gardes-frontières ukrainiens ne laissaient pas passer les étrangers, qu’ils « frappaient les gens avec des bâtons et leur déchiraient leurs vestes ».
Des familles arrivent de Kharkiv, de Kiev, de Lviv, par train ou par bus. La gare est bondée, beaucoup de gens ne savent pas où ils vont comme cette femme, Julia, Nigériane, avec son bébé âgé de 3 mois. Son mari américain devenu ukrainien « ne veut pas faire la guerre mais a été obligé de rester en Ukraine ». Se trouvent au milieu de ses réfugiés, d’autres réfugiés, qui s’exilent pour la deuxième fois comme Habiba et sa sœur qui ont déjà quitté l’Afghanistan il y a 2 ans.
Ismail Ferdous se rend d’abri en abri. Sur son chemin, il croise des gens qui s’échappent en voiture comme cette famille d’Arméniens qui habite Kiev et qui ont rempli à craquer leur vieux véhicule. Le père, opposant politique, est parti d’Arménie. Dépourvus de papiers européens, ils sont contraints d’y retourner malgré le danger que le père encourt de retourner dans son pays. De très nombreux centres de réfugiés se sont ouverts en Pologne, les terrains de baskets se sont transformés en dortoirs, des centres commerciaux aussi.
Ismail Ferdous y croise « principalement des femmes et des enfants », comme dans le train rempli à craquer qui mène de Przemysl à Varsovie où les enfants, les mères dorment imbriqués les uns aux autres et où d’autres voyageurs, déjà exténués par la fuite, font le trajet « de 7 à 8 heures en restant debout ». Le photographe y rencontre Tania et ses 2 enfants de 17 ans et 15 ans. Une famille plutôt aisée, dont le père qui travaille dans la publicité a dû rester à Kiev. Aux côtés des familles, de nombreux adolescents et couples d’adolescents de 17 ou 18 ans, « aux looks de hipsters », ont fui également l’Ukraine.
Atteindre la frontière ukraino-polonaise n’est pas chose aisée. Un couple qui s’enlaçe et qui accepte d’être photographié a mis 10 jours pour rejoindre le passage frontalier de Korczowa. « Le garçon s’appelle Bogdan, il a 30 ans, et la fille Eli, environ 20 ans. Les deux sont programmateurs informatiques, ils ont fui car Bogdan devait s’engager militairement. Il n’a pas voulu. » Bogdan affirme qu’il « veut quitter le pays et recommencer une nouvelle vie ».
On retrouve toutes les classes sociales dans les réfugiés de cette guerre. Beaucoup semblent abandonner un quotidien qui leur plaisait, comme ce père de famille originaire d’Ethiopie qui habite Kharkiv depuis 32 ans. Lui et sa fille de 20 ans pleurent. La mère, à moitié ukrainienne, à moitié russe, vit en Turquie. Dans un abri, le photographe aperçoit une femme hurler. On vient de lui annoncer au téléphone que son appartement à Kiev a été entièrement volé. Elle, comme beaucoup d’autres, ont peur de tout perdre avec cette guerre, « même si beaucoup d’entre eux gardent encore l’espoir de rentrer un jour ».
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