Depuis plus de quarante ans, Lázaro Roberto photographie les communautés afro-brésiliennes de la région de Bahia au Brésil. La photographie et l’activisme pour les droits des Noirs sont pour lui si intrinsèquement liés qu’ils ne viennent former qu’une seule et même lutte dans sa vie.
Lázaro Roberto est aujourd’hui, comme une bonne partie du monde, confiné, isolé chez lui, dans le quartier Fazenda Grande, en périphérie de la ville de Salvador au Brésil. Cette banlieue modeste l’a vu naître il y a 63 ans, et le photographe et activiste ne l’a, depuis, jamais quittée. C’est là qu’il a vu de la photographie pour la première fois. « Un prêtre italien, engagé dans les mouvements sociaux et assez progressiste, a un jour mis en place dans mon quartier un cours de théâtre et des activités culturelles. C’était dans les années 70. A la fin de l’année, on a utilisé l’espace de l’église pour organiser trois jours d’événements artistiques et culturels, montrant l’art des gens du quartier mais aussi de personnes venues d’ailleurs. C’est là que j’ai vu pour la première fois de la photographie. C’était une exposition d’Antônio Olavo ». Le jeune Lázaro Roberto est émerveillé par les images en noir et blanc qu’il découvre, et c’est là que commence son histoire avec la photographie.
Pendant les années qui suivront, même s’il n’a pas les moyens de s’acheter un appareil photo, Roberto se débrouille pour en emprunter régulièrement autour de lui. Il apprend la technique seul, vaguement avec l’aide de quelques magazines mais surtout avec de la pratique, et après beaucoup de photos ratées. En 1980, il obtient enfin son premier appareil photo, un Minolta, qu’il mettra de longs mois à rembourser.
Photographier la lutte et lutter par la photographie
Ces années pendant lesquelles Lázaro Roberto se familiarise avec la photographie sont aussi marquées par d’importantes luttes et mouvements pour les droits des Noirs au Brésil. « C’est mon professeur de théâtre qui m’a emmené dans les mouvements Noirs, dans les années 70. J’ai vu le mouvement naître ici au Brésil. J’ai participé à énormément de débats, à l’éclosion de groupes de carnaval intégrant des rythmes afro-brésiliens pour la première fois. Ces rythmes sont des résistances, et c’était très marquant de les voir enfin se faire une place dans la tradition du carnaval. C’était très fort de voir naître toute cette effervescence qui n’était pas là dans les années 70 (alors que la culture afro-brésilienne n’était qu’une façade que l’on trainait dans les aéroports pour montrer aux touristes le folklore qu’ils voulaient voir). La révolution a commencé avec ces défilés. » Lázaro Roberto prend pleinement part à ces luttes, son appareil photo autour du cou, et les documente sans relâche. Il sera là lors de la venue de Nelson Mandela dans la ville de Salvador en 1991, et captera le moment. Il photographie aussi le quotidien qui l’entoure : les salons de coiffure de son quartier, le marché populaire de São Joaquim…
Le simple fait qu’il soit l’un des premiers photographes Noirs à photographier des Noirs — avant lui la photographie était uniquement une histoire de Blancs, portant un regard forcément colonial sur ceux qu’ils photographiaient— est déjà une lutte en soi, un renversement de l’ordre établi.
Car, en plus de photographier les luttes, Lázaro Roberto utilise bien la photographie pour lutter. « Dans les années 80, j’ai réalisé une série de cartes postales, très artisanales, à l’agrandisseur, en reprenant les images cliché que l’on s’envoyait à Noël, la Saint Valentin et qui ne montraient toujours que des Blancs… mais en montrant des personnes Noires à la place. Je les distribuais dans les manifestations. »
Une collection dans l’ombre
En 1988, c’est l’année du centenaire de l’abolition de l’esclavage au Brésil. Le gouvernement prépare des événements commémoratifs pour célébrer la date. Mais beaucoup sont conscients que la lutte pour l’égalité est très loin d’être terminée pour les Noirs, et c’est l’occasion de nombreux mouvements de protestation à travers le pays. Les célébrations prévues par le gouvernement se transforment en révoltes… C’est dans ce contexte que Lázaro Roberto créé le collectif Zumvi (en référence à Zumbi dos Palmares, héros de la résistance anti-esclavagiste au Brésil, et jeu de mots avec la contraction de « zum – vi » que l’on pourrait traduire par « zoom – j’ai vu »). Le collectif est aujourd’hui devenu une collection de plus de trente-cinq mille images réalisées uniquement par des photographes afro-brésiliens.
Très concerné par le manque de visibilité des photographes Noirs au Brésil — le manque de reconnaissance de son propre travail est frappant, alors qu’après quarante ans de carrière il commence tout juste à faire l’objet de quelques articles, d’un documentaire de la réalisatrice Iris de Oliveira en cours de réalisation… —, Lázaro Roberto se consacre aujourd’hui pleinement au combat qu’il mène depuis plus de quinze ans : la valorisation de ces dizaines de milliers d’images d’archive. « On a pu faire une exposition en 2018, mais depuis, les images dorment chez moi… Il y a tant de photographies faites par de grands photographes, représentant des militants très importants qui sont en train de disparaître… Cela me rend très triste de constater que personne ne s’intéresse à cette mémoire ». Lázaro Roberto est bien conscient d’être en possession d’un trésor, d’avoir entre les mains tant d’Histoire et d’histoires racontées depuis des points de vue afro-brésiliens, qu’il serait grandement temps de sortir de l’ombre des discours dominants.
Par Elsa Leydier