Incarnation du cool californien, le photographe Sean Maung est un personnage discret et décontracté, attentif aux sentiments, à la beauté et aux humeurs. Il s’intéresse aux individus à la marge plutôt qu’à ceux qui s’assimilent à la masse. Qu’il immortalise des vaqueros gays, des danseurs, des skaters, des cholos, des vendeurs de rue, des arnaqueurs, des gangsters, des hippies ou des travailleurs du sexe, Maung célèbre la beauté, le style et la fierté de la florissante contre-culture de Los Angeles.
« Les gens ont une fâcheuse tendance à entrer dans ma vie, surtout quand j’ai un appareil photo », explique Maung, qui prend soin de trouver un équilibre entre spontanéité et grivoiserie. Etant donné que la photographie est devenue omniprésente grâce à la technologie numérique et aux réseaux sociaux, la culture américaine est de moins en moins censurée. « C’est la réalité. J’y adhère », explique-t-il. « Mais je pense aussi que nous sommes devenus obsédés par la mise en avant du côté graphique et instantané. Cela fait partie de la vie, et il y a une énergie, mais beaucoup de ces communautés ne sont représentées que par ce biais. »
Origine West Side
Sean Maung a grandi à La Cienega Heights, dans le West Side de Los Angeles. Il se souvient avoir vu, quand il était enfant, son quartier assiégé pendant les émeutes de L.A. en 1992. « J’avais neuf ou dix ans et, même à cet âge, j’ai compris qu’un événement exceptionnel était en train de se produire lorsqu’ils ont lu le verdict du procès », dit-il à propos du jury entièrement blanc ayant acquitté, malgré l’enregistrement vidéo de la scène, quatre policiers accusés d’avoir sauvagement agressé l’Afro-Américain Rodney King.
Cette nuit-là, un magasin dans le quartier de Maung est la proie des flammes. « Je me souviens avoir vu par la fenêtre des gens transportant du matériel neuf », raconte-t-il. « Ils étaient en train de piller. J’ai pris conscience des inégalités, du racisme et des brutalités policières aux États-Unis en général et à Los Angeles en particulier. »
Vivant dans un quartier à prédominance noire et mexicaine, Maung apprend à connaître et respecter les communautés ouvrières qui forment l’épine dorsale de Los Angeles. Adultes et enfants passent pas mal de temps dans les rues, ce qui, pour Maung, facilite la création de liens. « Même si je suis métis, je me présente en tant que blanc. Nous avons toujours été acceptés comme faisant partie de la communauté », dit-il.
« J’ai grandi dans un environnement multiculturel où nous partagions tous une passion pour quelque chose, que ce soit la musique, le skateboard ou le basket. Si vous avez une passion et que vous lui donnez tout, c’est ce qui compte. Une grande partie de la culture de L.A. te suivra parce que tu es spécial dans ton domaine. J’ai toujours gardé cette confiance en moi. Je trace ma route, en espérant avoir une plus grande estime pour moi et le monde. »
Vous connaissez notre fonctionnement
Sean Maung commence à s’intéresser à la photographie en feuilletant le numéro de mai 1990 du National Geographic, mettant à l’honneur le travail de Joseph Rodriguez qui documente la vie à Spanish Harlem. La couverture attire immédiatement son attention : une ado noire déguste une glace, appuyée nonchalamment contre un mur couvert de graffitis, un chiot blotti dans sa doudoune bleue. Rodriguez photographie un monde qu’il connaît et qui bénéficie rarement d’une couverture juste ou positive dans les médias grand public.
Devenu adulte, Maung se tourne vers la photographie, attiré par sa capacité à créer du lien et à valoriser sa communauté. Il commence à arpenter les rues de sa ville natale avec un appareil photo, puis s’aventure plus loin, explorant d’autres quartiers de la Cité des Anges.
« L.A. m’a toujours fasciné, particulièrement pendant mon adolescence et au début de la vingtaine », raconte Maung. « J’ai toujours aimé aller dans des lieux ou à des événements, quel que soit le quartier. Au lycée, j’allais souvent voir des shows de hip-hop. Je voulais faire partie de diverses scènes, quartiers et communautés. La caméra m’a grandement facilité la tâche. »
Reprenant à son compte le credo de Robert Capa, cofondateur de Magnum Photos, « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez prêt », Maung a compris que l’intimité exigeait plus que la proximité physique.
Mollo sur le style
« Los Angeles abrite tellement de mondes, dont la majorité fait partie de la classe ouvrière. Mais aussi des gens issus de milieux différents, non représentés dans la culture dominante », explique Sean Maung, qui a photographié des personnes de tous horizons bien avant que les mots « représentation », « visibilité » et « diversité » ne deviennent à la mode.
Plutôt que d’adopter une « stratégie », Maung suit simplement le courant et laisse la ville se déployer sous ses pas, à travers les différentes communautés. « Les gens n’ont peut-être jamais vu un type comme moi dans leur quartier, puis ils s’aperçoivent que je suis photographe », dit-il. « À Los Angeles, les gens ont tendance à mieux accepter les photographes, tant qu’ils savent comment se comporter. »
Dans la rue, tout se construit sur le respect. « Dans le quartier le plus modeste, il y a toujours des gens qui triment dur », dit Maung. « Peut-être veulent-ils devenir le nouvel artiste, musicien ou acteur. Dans n’importe quel quartier de L.A., les ambitions sont les mêmes que celles d’un gamin rêvant de Hollywood. Je suis attiré par cette énergie, que j’essaie d’encourager à travers mes images. »
L’enthousiasme de Maung est contagieux. Quand il croise quelqu’un qu’il veut photographier, la personne se sent vue et cela l’excite. « Je pense qu’elle comprend que je perçois quelque chose de spécial. » Plutôt que de prendre des clichés candides, Sean Maung adopte une approche collaborative, laissant les gens libres de poser comme ils le souhaitent.
« Je suis le photographe, mais il ne s’agit pas de moi. C’est aux personnes que je m’intéresse –- cela peut être à leur esprit, leurs vêtements, leur énergie. Ils peuvent bien faire ce qu’ils veulent, parce que c’est eux qui feront la photo », dit-il. « C’est une célébration. Il se passe un truc. À la fin de la journée, beaucoup de gens font attention à leur apparence. Je veux qu’ils se disent : “Oui, je suis beau, et vous devriez me prendre en photo !” ».
Plus d’informations sur le travail de Sean Maug sur son site.