Dans une année marquée par les conflits mondiaux, les catastrophes climatiques et les vagues migratoires massives, le prix World Press Photo de l’année 2025 s’impose comme un rappel poignant du prix humain de la guerre. La récompense a été attribuée à Samar Abu Elouf pour son touchant portrait simplement intitulé Mahmoud Ajjour, neuf ans, plaçant au cœur de notre conscience collective le traumatisme d’un enfant. Choisie parmi plus de 59 000 candidatures, cette photographie ne constitue pas seulement une importante image journalistique, mais un vrai témoignage — à la fois silencieux et saisissant.
Les lauréats ont été annoncés aujourd’hui par la Fondation World Press Photo. Parmi les autres finalistes figurent John Moore, photographe staff chez Getty Images et lauréat du prix Pulitzer en 2005 dans la catégorie photographie d’actualité, ainsi que Musuk Nolte, photographe péruvien, bénéficiaire en 2017 du fonds d’urgence de la Fondation Magnum.
Une image pour témoigner
Le World Press Photo de l’année 2025 a été décerné à Mahmoud Ajjour, neuf ans (Mahmoud Ajjour, nine years), réalisé par la photographe palestinienne Samar Abu Elouf pour The New York Times. L’image montre un jeune garçon, Mahmoud, en convalescence après avoir été grièvement blessé lors d’un raid aérien israélien sur Gaza en mars 2024. Il a été évacué vers le Qatar pour y recevoir des soins médicaux, où la photographie a été prise en juin de la même année.

D’après les récits, Mahmoud a été blessé alors qu’il fuyait l’attaque avec sa famille. Il s’était retourné pour encourager les autres à continuer à avancer quand une explosion a déchiré le groupe. L’un de ses bras a été arraché, l’autre gravement mutilé. Après plusieurs opérations et une première phase de rééducation, Mahmoud a commencé à s’adapter à sa nouvelle condition, utilisant ses pieds pour jouer sur son téléphone, ouvrir des portes ou encore écrire. Il dépend désormais d’une assistance constante pour accomplir les gestes du quotidien, comme s’habiller ou manger.
La photographie, capturant Mahmoud au cœur de sa réhabilitation, met en lumière les répercussions personnelles et durables du conflit à Gaza. Elle témoigne également de la crise humanitaire plus large qui frappe la région, où l’accès aux soins médicaux est gravement compromis. Selon l’Organisation mondiale de la santé, en mars 2025, seuls 21 des 36 hôpitaux de Gaza étaient encore partiellement opérationnels. Plus de 7 000 personnes avaient été évacuées pour raisons médicales, tandis que plus de 11 000 attendaient toujours de l’être.
Le Qatar, ayant investi massivement dans le développement de son infrastructure de santé, a été l’un des principaux pays facilitateurs de ces évacuations. Abu Elouf, elle-même évacuée de Gaza à la fin de 2023, réside désormais dans le même complexe d’appartements que Mahmoud et sa famille, à Doha. Cette proximité humaine donne à son image une profondeur supplémentaire, un contexte précieux au récit qu’elle transmet.
Évoquant l’impact émotionnel des blessures de Mahmoud, Abu Elouf se souvient de cette confidence déchirante faite par la mère de l’enfant : « L’une des choses les plus douloureuses qu’elle m’ait dites est la suivante. Lorsque Mahmoud a pris conscience que ses bras avaient été amputés, sa première question fut : “Comment vais-je pouvoir te serrer dans mes bras ?” »
Le jury international du World Press Photo, qui a sélectionné l’image parmi les lauréats régionaux issus des six continents, a salué la puissance de sa composition et la sensibilité avec laquelle elle a été prise. Le portrait est ainsi décrit comme « contemplatif », soulevant des interrogations sur l’avenir du jeune garçon et, au-delà, sur la condition des civils pris dans la tourmente de la guerre. Le jury a également mis en lumière les risques encourus par les journalistes à Gaza et les restrictions d’accès imposées aux médias internationaux.
Ce choix s’est imposé pour sa capacité à transmettre l’essence du conflit sans recourir à une violence explicite. L’image se distingue par sa pudeur, son intimité, et la clarté avec laquelle elle révèle les séquelles physiques et psychologiques de la guerre. Selon l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), Gaza comptait, fin 2024, le plus grand nombre d’enfants amputés par habitant dans le monde.
Bien que singulière, l’histoire de Mahmoud incarne l’impact plus vaste du conflit sur les enfants et leurs familles. La photographie donne à ce drame une portée universelle, contribuant à une compréhension plus humaine de la situation à Gaza. Elle rappelle également l’importance capitale du photojournalisme dans la documentation de ces tragédies, souvent dans des conditions extrêmes.
Lucy Conticello, directrice de la photographie pour M Le Monde et présidente du jury global 2025, a déclaré : « En sélectionnant les finalistes pour la Photo de l’année, le jury global est parti d’une large sélection couvrant les six régions. Trois grands thèmes ont émergé : le conflit, la migration et le changement climatique. On peut aussi les voir comme des récits de résilience, de famille et de communauté. »
Finalistes : récits de migration et de climat
Deux finalistes ont accompagné la photo gagnante, illustrant chacun des enjeux mondiaux majeurs à travers un récit nuancé.
Night Crossing, par John Moore (États-Unis)

Ce cliché saisit un moment de tendresse entre des migrants chinois se réchauffant après avoir franchi la frontière californienne sous la pluie. Il illustre la montée des migrations en provenance de Chine, provoquée par l’instabilité économique, les politiques de visa restrictives et la répression des libertés.
« Aux États-Unis aujourd’hui, en particulier au sein des communautés immigrées… un vrai sentiment de peur s’installe, car personne ne sait ce que demain apportera », confie Moore. Son image, à la composition presque cinématographique, relie les chiffres à l’humanité, dépeignant non seulement la détresse, mais aussi la résilience.
Sécheresse en Amazonie, par Musuk Nolte (Pérou/Mexique)

Une mère attend dans un village amazonien frappé par la sécheresse, tandis que son fils transporte de la nourriture à travers le lit asséché d’une rivière. Autrefois navigable, le fleuve Solimões est désormais craquelé, à nu. Cette sécheresse, la plus sévère enregistrée en plus de 120 ans, a isolé des communautés entières et bouleversé les écosystèmes.
« Photographier cette crise m’a ouvert les yeux sur l’interconnexion mondiale des écosystèmes », explique Nolte. « On croit parfois que ces événements ne nous concernent pas. Mais à moyen et long terme, ils nous atteignent. »
Célébration de l’excellence régionale
Pour sa 68e édition, le concours, réorganisé depuis 2021 autour d’un modèle régional, a désigné 42 lauréats issus de 30 pays, répartis sur six régions, à travers les catégories Images uniques, Séries et Projets au long cours. Voici les images primées.
Afrique
The Elephant Whisperers of Livingstone (Tommy Trenchard, Royaume-Uni) met en lumière les efforts de conservation en Zambie.

Women’s Bodies as Battlefields (Cinzia Canneri, Italie) documente la violence sexiste dans les zones de conflit.

Life Won’t Stop (Mosab Abushama, Soudan) est une image unique frappante du Soudan déchiré par la guerre.

Asie-Pacifique et Océanie
A Nation In Conflict (Ye Aung Thu, Myanmar) dépeint les troubles civils au Myanmar.

Four Storms, 12 Days (Noel Celis, Philippines) suit des familles lors de catastrophes climatiques.

Te Urewera (Tatsiana Chypsanava, Belarus) dépeint la relation entre les autochtones et la terre en Nouvelle-Zélande.

Europe
Democracy Dies in Darkness (Rafael Heygster, Allemagne) s’attaque à l’autoritarisme en Europe de l’Est.

It Smells of Smoke at Home (Aliona Kardash, Russie/Allemagne) est une réflexion sur les déplacements dus à la guerre.

Underground Field Hospital (Nanna Heitmann, Allemagne) s’intéresse aux soins de santé de première ligne en Ukraine.

Amérique du Nord et centrale
Crisis in Haiti (Clarens Siffroy, Haïti) examine l’effondrement politique et humanitaire.

A Town Derailed (Rebecca Kiger, États-Unis) dépeint la vie après le déraillement d’un train dans l’Ohio.

Attempted Assassination of Donald Trump (Jabin Botsford, États-Unis) est un instantané glaçant de la volatilité politique américaine.

Amérique du Sud
Brazil’s Worst-Ever Floods (Amanda M. Perobelli) montre des villes submergées par des inondations historiques.

Paths of Desperate Hope (Federico Ríos, Colombie) suit les migrants d’Amérique du Sud vers les États-Unis.

The Last Hope (Gabriela Oráa, Venezuela) partage l’angoisse des familles en quête de refuge.

Asie occidentale, centrale et méridionale
Gaza Under Israeli Attack (Ali Jadallah, Palestine) met à nu la dévastation de la région.

No Woman’s Land (Kiana Hayeri, Iran/Canada) raconte la survie des femmes dans l’Afghanistan contrôlé par les talibans.

Drone Attacks in Beirut (Murat Şengül, Turquie) montre le chaos provoqué par la militarisation croissante de la région.

Une exposition itinérante
Les photographies primées seront exposées à partir du 18 avril 2025 à De Nieuwe Kerk, à Amsterdam, inaugurant l’édition 2025 de l’exposition World Press Photo, avant de parcourir plus de 80 villes dans 30 pays, atteignant plus de 3 millions de visiteurs à travers le monde. En mai, les lauréats se retrouveront à Amsterdam pour « The Stories That Matter », un programme de conférences, d’ateliers et de cérémonies de remise des prix. Fondée en 1955, la fondation explique poursuivre sa mission de défense du journalisme visuel : « Nous créons des espaces de réflexion dans des moments d’urgence, tout en défendant des standards d’exactitude, d’authenticité, d’excellence visuelle et de diversité des points de vue. »
Plus d’informations sur le site web du World Press Photo.