Sur un perron, une créature hybride, à corps d’homme et à tête de chien: c’est un bouledogue assis sur les genoux de son maître, et l’une des photographies les plus célèbres d’Elliott Erwitt, membre de l’agence Magnum, connu pour ses images à la fois attachantes et drôles, parfois ironiques et absurdes. De nombreux livres leur ont été consacrés, et l’on croyait l’identité d’artiste d’Erwitt fixée une fois pour toutes.
L’ouvrage Found Not Lost n’est pas conçu dans cet esprit qui a fait la gloire du photographe : le livre est plus contemplatif, avec des images qui, pour la plupart, n’ont jamais été montrées. A plus de quatre-vingt-dix ans, Erwitt a consacré deux années à revisiter l’intégralité de ses archives photographiques, portant un nouveau regard sur les milliers d’images qu’il avait écartées. Dans son introduction, l’écrivain Vaughn Wallace mentionne une note griffonnée sur un bout de papier, découverte entre des piles de négatifs et disant : « Aucune importance, clichés inutiles. » C’est précisément ceux-là qui sont, pour la première fois, présentés dans Found Not Lost.
Durant ses 70 ans de carrière, Erwitt s’est taillé une réputation faite d’humour et de talent à saisir l’absurde dans le quotidien. Le glamour, lui aussi, a eu sa place dans son travail : voir ces images de Marilyn Monroe entre deux prises de Sept ans de réflexion, celles du célèbre bal masqué noir et blanc de Truman Capote, ou encore, la photographie bouleversante d’une Jacqueline Kennedy effondrée aux funérailles de son mari.
Ces images-là sont absentes du livre. Comme l’écrit Wallace: « Ce qui ressort de ce très long processus d’introspection, c’est un Elliott Erwitt inconnu, un photographe dont la célèbre et magnifique vision du monde s’exprime à travers des images qu’il est plus difficile de cerner ». Et Wallace ajoute: « Il y a de la sagesse et une sorte de confiance ironique dans le fait de réinventer sa propre image, surtout lorsqu’elle est de celles que la plupart des artistes seraient trop heureux de garder intacte. »
Avec Found Not Lost, le style très contrasté d’Erwitt s’exprime dans des photographies parfois pensives, parfois sombres, dénotant une attention marquée à la forme et la fonction de l’image elle-même. Les ombres, le flou cinétique, les silhouettes et ce qui les entoure donnent un caractère merveilleux au quotidien et au banal. « Chacune de ces images », écrit Wallace, « révèle un sens profond de ce qu’être humain veut dire. L’on y sent beaucoup de bonheur, aussi. Des seniors qui dansent, des enfants qui jouent, un couple faisant des grimaces devant l’appareil : tout cela, c’est l’humanité. Des célébrités figurent également, ici et là : voyez cette discrète image de Nixon serrant une main avec un grand sourire, à côté de cette autre photo d’une foule jubilante brandissant des panneaux où on lit : ‘JOHNSON PRESIDENT’ ».
Bien que ce livre marque un tournant dans le style d’Erwitt, l’absurde y a encore sa place. Ici, deux mariés nus (si l’on excepte le voile de l’une et le chapeau de l’autre) à l’arrière d’une voiture ; là, une femme regardant avec tendresse une poupée en plastique qu’elle pousse dans un chariot. Le contexte des images manque, le plus souvent, si ce n’est que le titre indique le nom du lieu et l’année où elles sont prises. Et de tout ceci se dégage une atmosphère fantasque, surréaliste : un monde perdu qui, fort heureusement, a été retrouvé.
Par Christina Cacouris
Christina Cacouris est auteur et curatrice. Elle est basée à Paris et New York.
Elliott Erwitt, Found Not Lost
Ed. Gost Books
60,00 £
Livre disponible ici.