Revolving Doors (portes tournantes) est une série d’œuvres réalisées par Man Ray au début de sa carrière aux Etats-Unis vers 1916-1917 avant qu’il ne s’installe à Paris en 1921 et devienne une figure centrale du mouvement Dada puis surréaliste.
La série a accompagné la longue carrière de Man Ray : réalisée d’abord comme une série de collages de papiers colorés vers 1916, elle est présentée à New York à la galerie Daniel en 1919 et, ensuite, dans l’édition de la revue surréaliste Minotaure de 1935. La série a été reprise au pochoir et éditée en lithographie, en 1926, par les éditions surréalistes et en 1972 avec l’éditeur Luciano Anselmino qui servira d’inspiration pour les tapisseries réalisées en 1973 par Frédérique Bachellerie et Peter Schönwald.
Cette série illustre parfaitement l’esprit avant-gardiste et expérimental de Man Ray, connu pour sa contribution majeure au mouvement Dada et au surréalisme. La série est créée dans le contexte du mouvement Dada, qui rejette les conventions artistiques et sociales de l’époque. Revolving Doors incarne cet esprit de rébellion en quête de modernisme, défiant les notions traditionnelles de l’art et de la beauté. Revolving Doors se caractérise par des formes géométriques abstraites et des compositions dynamiques.
Chaque œuvre présente une interaction complexe entre des éléments comme des cercles, des lignes droites, et des angles, évoquant aussi bien un sentiment de stabilité que de mouvement et de transformation. Les œuvres ne sont pas seulement des compositions esthétiques, mais elles incarnent également des idées plus profondes sur la perception et la temporalité. En utilisant des formes géométriques abstraites, Man Ray se détache de la représentation figurative traditionnelle. Cette abstraction invite les spectateurs à interpréter librement les œuvres, laissant place à une multitude de significations symboliques.
Revolving Doors a été influent dans le développement de l’art abstrait et a préfiguré certaines des explorations ultérieures de Man Ray dans la photographie et le cinéma. Elle illustre la capacité de l’artiste à capturer le mouvement et le changement à travers des formes abstraites et dynamiques, marquant une étape importante dans l’évolution de l’art moderne au début du 20e siècle. Man Ray continue d’être célébré pour son audace et son originalité, et Revolving Doors reste une œuvre clé pour comprendre son approche artistique. Cette série illustre parfaitement comment Man Ray a pu transcender les frontières des médiums et des mouvements artistiques pour créer des œuvres qui continuent de résonner et d’inspirer aujourd’hui.
Dans l’entretien suivant, Frédérique Bachellerie et Peter Schönwald, les concepteurs des tapisseries, évoquent leur métier et cette réalisation. En effet, en 1972, Frédérique Bachellerie fonde son atelier nommé Atelier 3 avec Peter Schönwald, et Michel Slaghenauffi. Depuis, l’Atelier 3 a travaillé avec plus de 100 artistes et produit environ 800 tapisseries.
Frédérique Bachellerie et Peter Schönwald, dans quelles conditions vous êtes-vous rencontrés ?
Frédérique Bachellerie: À Budapest, en 1965. Mon père était hongrois et ma mère française. Mais j’ai fait mes études en Amérique du Sud, à Santiago du Chili. J’ai appris à tisser sur toutes sortes de tissus indiens, à l’école des Arts appliqués. Je suis retournée en Hongrie où l’on n’a pas accepté mon diplôme. On m’a donc demandé de faire dix tapisseries pour me juger afin de savoir si j’étais apte. Mais j’ai décidé d’aller en France. J’ai cherché un atelier de tapisseries et j’ai rencontré Pierre Daquin, qui sortait de l’école des Gobelins. Il connaissait beaucoup de peintres abstraits. J’ai travaillé trois ans pour lui et j’ai beaucoup appris à ses côtés. Entretemps, j’avais rencontré Peter en Hongrie.
Peter Schönwald: J’ai fait toutes sortes de métier avant de devenir lissier. À partir de mes 18 ans, j’ai vendu des livres, j’ai travaillé à la télévision hongroise comme aide-producteur. J’étais passionné de poésie et de littérature. C’est Frédérique qui m’a fait découvrir l’art moderne qui était plus ou moins occulté en Hongrie. J’ai d’abord dû faire mon service militaire, qui durait deux ans dans mon pays, avant de rejoindre Frédérique en France. À un moment donné, nous avons décidé de nous lancer ensemble dans cette activité, mais en essayant de renouveler aussi la tapisserie , davantage dans le sens figuratif.
Pouvez-vous raconter vos débuts dans la tapisserie d’art?
F.B.: On a pensé, dès le début, que nous pouvions faire des tapisseries de toutes sortes, aussi bien à partir de photos, de bandes dessinées que de peintures, de dessins et c’est ce que nous avons expérimenté durant cinquante ans. Si, personnellement, j’ai fait de la tapisserie, c’est parce qu’il y avait, en Hongrie, une personne très intéressante : Noémie Ferenczi, qui est totalement inconnue en France mais qui est très célèbre en Allemagne ou aux États-Unis. C’est l’une des rares personnes qui tissait elle-même ses tapisseries. En général, les artistes peintres font des cartons pour les lissiers.
P.S.: Au début, je ne savais pas du tout tisser. J’étais chargé de trouver des artistes, sur le plan commercial. Et, très vite, et à notre grande surprise, nous avons eu énormément de travail et beaucoup de commandes.
F.B.: Nous nous sommes installés au départ dans un appartement rue Saint- Honoré, près des Halles, quand nous avons fondé Atelier 3, en 1972. Puis, nous avons déménagé entre la place de la Bastille et Nation.
Comment avez-vous rencontré la galeriste Françoise Tournier ?
P.S.: Je suis simplement rentré dans sa galerie, qui se situait dans mon quartier, un jour de 1973. Il y avait une exposition de lithographies de Man Ray. Je lui ai demandé si cela l’intéressait d’avoir une tapisserie d’après l’une de ces lithographies. Elle m’a tout de suite dit oui.
F.B.: L’un de mes amis m’a toujours dit que si nous avions eu la carrière qui est la nôtre, c’est parce que nous venions d’Europe Centrale. Et j’ai beaucoup réfléchi à ce que cela signifiait. C’est vrai que tout était fermé en Hongrie et, d’un seul coup, nous sommes arrivés en France où tout est ouvert. Mais nous avions très envie, nous avions beaucoup d’énergie.
Est-ce un choc visuel quand vous voyez pour la première fois ces lithographies de Man Ray ?
P.S.: Ce n’est pas le genre d’œuvres que je préfère mais quand j’ai demandé l’origine, c’est-à-dire des collages qu’il avait réalisés en 1916, j’ai été stupéfait. En termes de géométrie, Man Ray était très avant-gardiste.
Était-ce difficile de travailler d’après ces lithographies ?
P.S.: Non, pas du tout. Frédérique a tout de suite eu des idées quant à l’interprétation que nous pouvions avoir pour faire en sorte de ne pas être trop classiques.
F.B.: J’ai travaillé trois ans pour Pierre Daquin, qui avait réutilisé des points de différentes épaisseurs. Il jouait beaucoup là-dessus avec ses propres tapisseries sur ces grandes surfaces blanches qui étaient plus ou moins épaisses. J’ai appris cette technique. Mais quand j’ai vu ce que faisait Man Ray avec trois couleurs différentes, c’est-à-dire le rouge, le bleu et le jaune, les trois couleurs primaires qu’il superposait pour obtenir le violet, le vert ou l’orange, tout de suite, je me suis dit que je pouvais obtenir des épaisseurs. C’était tout à fait naturel. Et comme Man Ray avait tracé au crayon un dessin très fin, il ne fallait pas que j’utilise une laine, du chanvre ou du coton mais une matière qui s’enfonce dans la laine blanche du fond, donc j’ai utilisé un fil de métal qui est très fin, pour obtenir les dessins de la lithographie.
P.S.: Quand nous avons présenté la tapisserie à Françoise Tournier, elle nous a aussitôt dit qu’elle souhaitait éditer les dix lithographies qui figuraient dans un album et qui s’intitulent Revolving Doors. Nous avons mis un an et demi à les fabriquer. Elle les a d’abord montrées dans sa galerie et elle les a exposées ensuite à la première FIAC, en 1975, qu’elle avait coorganisée. Elle les a toutes vendues et nous en avons donc refait deux autres séries de dix. Des tapisseries, nous pouvons en faire six exemplaires, numérotés de 1 à 6, pour chaque œuvre, plus deux épreuves d’artiste. Man Ray, lui, avait édité 80 lithographies, avec huit exemplaires pour chacune d’entre elles. Et il a signé les 80 bolduc. Comme nous avons eu du mal à nous faire payer la troisième série de tapisseries, elle nous a donné en échange une série de dix lithographies de Man Ray.
F.B.: Quand on a eu cette grosse commande, nous sommes allés à Saint-Tropez où nous possédions une petite maison et nous avons tissé les Man Ray sur place. Nous sommes restés un an et demi là-bas… Il faut que vous sachiez que Françoise Tournier est venue à notre atelier, rue Saint-Honoré à Paris, avec Man Ray en 1973. Nous étions dans un immeuble qui datait du XVIIe siècle, avec un grand escalier. Arrivé en bas, Man Ray a dit qu’il ne pouvait pas monter. Il avait 83 ans. Peter, qui avait 30 ans alors, l’a porté à bout de bras pour qu’il puisse venir dans notre atelier. Man Ray était vraiment très sympathique.
Après tant d’années, comment jugez-vous ces tapisseries dorénavant ?
F.B.: Je les vois différemment d’il y a 50 ans. C’est une œuvre qui existe indépendamment de nous. Il y a un équilibre extraordinaire dans ces dessins.
P.S.: Je suis assez content de leur fraîcheur. Elles sont en très bon état. Nous aimons bien les montrer quand nous recevons des gens à l’atelier.
F.B.: Les artistes nous ont appris que l’art était fait pour voyager, et leurs tableaux faits pour par tir. Donc, nos tapisseries également.
« Revolving Doors: Sept tapisseries de Man Ray » est exposée jusqu’au 10 novembre 2024 à la galerie Les Douches, à Paris. Une sélection sera également présentée à Paris Photo à partir du 6 novembre 2024.