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L’île aux trésors d’Harold Feinstein

Dans le cadre des Rencontres d’Arles, le centre de la photographie de Mougins met à l’honneur le travail du photographe américain Harold Feinstein. Une exposition qui fait suite à un formidable documentaire sur la vie de l’artiste dont l’œuvre est longtemps restée dans l’ombre.

« Faites de votre photographie votre moyen de découvrir ce monde, cette vie, ce que vous êtes au fond de vous-mêmes » 

Ainsi commence le documentaire « Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein », réalisé par Andy Dunn. Harold Feinstein est assis face à ses élèves. Philosophe autant que photographe, il prit un plaisir immense à la transmission. La photographie est au centre de sa leçon de vie, elle est l’expression la plus intime de ses convictions : la magie de saisir l’instant par l’appareil photo, où « le monde se révèle à vous ». Harold Feinstein (1931-2015) nous a légué une œuvre pleinement humaniste et d’une grande poésie. Un travail resté longtemps dans l’ombre. Résultat d’un esprit libre qui ne cherchait pas la reconnaissance. 

Dans le cadre de la programmation des Rencontres d’Arles et du Grand Arles Express, le centre de la photographie de Mougins met à l’honneur l’œuvre du photographe américain. L’exposition composée de 101 tirages dont 85 originaux couvre une période de plus de 45 ans de sa production photographique. Cette exposition vient compléter le documentaire d’Andy Dunn, qui nous invite dans l’intimité du photographe et dans la création d’une œuvre majeure de la photographie américaine.

Harold Feinstein avec un Rolleiflex à Brooklyn, 1949.
Harold Feinstein avec un Rolleiflex à Brooklyn, 1949.

Mon île au trésor

Toute la vie et l’œuvre d’Harold Feinstein sera liée à un lieu : Coney Island, à Brooklyn (New York). Cette « île au trésor » comme il l’appelle. C’est ici qu’il est né, en 1931. Coney Island est un monde en soi, une plage, des attractions et un spectacle que seule l’Amérique peut offrir. Là où tout le monde se mélange, pauvres, riches, européens, asiatiques, afroaméricains… Ce grand théâtre à l’air libre devient le terrain de jeu favori du jeune Feinstein, Rolleiflex à la main depuis ses 15 ans. 

Les enfants touchent le ciel et retombent dans des draps tendus, les tatouages s’exposent fièrement au soleil, la jeunesse est outrageusement belle. Comme cette bande d’amis aux gueules d’anges, lunettes Aviator, rouge à lèvres, sourire éclatant et transistor dans les bras. « Je n’aurais pas pu faire mieux, pour moi elle est parfaite », savoure Harold Feinstein interrogé dans le film sur cette photo, une de ses préférées.  

Adolescents de Coney Island, 1949 © Harold Feinstein
Adolescents de Coney Island, 1949 © Harold Feinstein

Avec sa bonne bouille, ses cheveux en bataille et son sourire solaire, Feinstein met les gens à l’aise, il se glisse parmi eux. Dans les années 1950, rares sont ceux qui se baladent avec un appareil photo. La grande humanité de ses photos ne passe pas inaperçue. Il rejoint la renommée Photo League à seulement 17 ans et en devient ainsi le plus jeune membre. Il a tout juste 19 ans quand le directeur du MoMa, Edward Steichen, lui achète trois photographies. 

En 1952, Feinstein s’est déjà fait un nom dans l’avant-garde artistique new-yorkaise lorsque l’Histoire le rattrape. « Harold tu pars en Corée ! ». Refusé comme photographe officiel, il rejoint l’infanterie. Une aubaine. Au lieu de photographier les remises de médailles et les poignées de main, « private » Feinstein promène son appareil dans les allées des campements, raconte la vie des « boys » souvent rythmée par les parties de cartes, les rires, l’attente, la fatigue… Feinstein en fait son nouveau Coney Island, dans la façon de saisir l’émotion humaine, la poésie des corps. Il capture la vie dans les villages, y tombe même amoureux, avant de rentrer au pays. 

Rendez-vous au 821 6th Avenue

Le retour aux Etats-Unis se fera dans l’effervescence du Jazz Loft du 821 6th Avenue, quand il était encore possible de se loger pour pas grand-chose à New York. Une période dorée. Le photographe fait la rencontre de grands musiciens comme Hall Overton et Dick Cary. Les soirées ramènent du beau monde. Même Salvador Dali passe par là. Feinstein photographie cette scène musicale et artistique. Il signera même de ses photos les couvertures d’album du label mythique Blue Note Records.  

S’en suivra une rencontre déterminante avec le photographe W. Eugene Smith. Feinstein l’assiste sur la maquette du projet Pittsburgh. La publication ne verra jamais le jour mais l’essentiel est ailleurs. « Il est devenu l’un de mes meilleurs amis et nous avons beaucoup ri. Ce que nous partagions le plus aussi c’était le scotch », relate Feinstein. 

La Dame du lac, 1974 © Harold Feinstein
La Dame du lac, 1974 © Harold Feinstein
Homme fumant dans un restaurant, 1974 © Harold Feinstein
Homme fumant dans un restaurant, 1974 © Harold Feinstein
Le Christ brisé avec des enfants, Coney Island, 1950
Le Christ brisé avec des enfants, Coney Island, 1950 © Harold Feinstein

La tendresse humaine de New York se lit dans ses images. Sa grande maîtrise du tirage photo aussi. Mais comment une telle œuvre a pu être autant méconnue ? Le documentaire pense trouver une partie de la réponse : l’esprit libre de Feinstein. Par son refus de participer à l’exposition « The Family of Man » du MoMa qui consacrera nombre de ses contemporains ou son retrait de la scène new yorkaise. 

Feinstein a trouvé une autre vocation : la transmission. L’enseignement devient sa raison d’être, ses élèves sont fascinés par ce philosophe de la photo où le médium devient une manière de vivre, certains évoquant même un gourou sympathique. Feinstein vivait pour la photo, pour mener cette vie créative. « Ne laissez personne vous dissuader de faire ce que vous aimez », glissait-il à ses élèves, avouant plus tard regretter de ne pas avoir assez profité de sa famille et de ses enfants. 

Ironie de la vie, la popularité de son travail ne viendra pas de ses scènes de vie de Coney Island, des skyscrapers new yorkais ou des photos tendres de Paris mais d’un projet réalisé en fin de carrière : ses scanographies botaniques de fleurs. Toutes en couleur. Resplendissantes. Un « secret de fabrication » qui lui permettra enfin de « payer ses factures » comme s’en amuse son fils. Ces fleurs de toute forme, de toute tonalité, ont la grâce d’une danseuse, la profondeur d’un iris. Une éclatante humanité se dégage de chacune d’elle, comme l’essentialisation de ce qui a fait toute la vie et le travail d’Harold Feinstein, digne représentant de la photographie humaniste. 

Capture d'écran du documentaire : Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein, par Andy Dunn.
Capture d’écran du documentaire : Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein, par Andy Dunn.
Capture d'écran du documentaire : Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein, par Andy Dunn.
Capture d’écran du documentaire : Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein, par Andy Dunn.
Affiche du documentaire Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein, par Andy Dunn.
Affiche du documentaire Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein, par Andy Dunn.

« La roue des merveilles : Harold Feinstein », exposition au centre de la photographie de Mougins dans le cadre du Grand Arles Express, du 1er juillet au 8 octobre 2023. 

Le livre : La roue des merveilles : Harold Feinstein, François Cheval, Alexis Tadié, Ya’ara Gil-Glazer, Yasmine Chemali, juin 2023. Bilingue Français / Anglais, 192 pages, 29 €. En vente à la boutique du Centre de la photographie.


Le documentaire : Last Stop Coney Island: The Life and Photography of Harold Feinstein, par Andy Dunn, 88 minutes, sous-titres Anglais, Français, Espagnol, £15.

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