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Meme Press Photo, de l’humour à la condition précaire des photojournalistes

Depuis sa création en 2023, Meme Press Photo s’attaque de manière irrévérencieuse à l’industrie du photojournalisme. Mais sous les plaisanteries se cachent des observations sérieuses. La personne qui gère le compte Instagram fait tout son possible pour rester anonyme, mais elle s’est prêtée à une interview avec Blind.

Pour information, je sais qui se cache derrière le compte Meme Press Photo sur Instagram. Je sais aussi que des gens ont essayé de démasquer les personnes qui y postent des images. Je ne vous donnerai pas de nom. J’ai accepté de ne pas partager d’identité dans le cadre de cet article, qui préserve donc l’anonymat de ces personnes.

Pour reprendre l’ouverture de la série télévisée Dragnet: « L’histoire que vous êtes sur le point de lire est vraie. Seuls les noms ont été changés pour protéger les innocents ». Ou peut-être s’agit-il des coupables dans ce cas. Choisissez donc la classification que vous souhaitez donner au créateur. Peut-être que la phrase suivante, tirée du Magicien d’Oz, conviendrait mieux: « Ne faites pas attention à l’homme derrière le rideau ». La personne qui se cache derrière tout cela n’ayant peut-être pas tant d’importance pour l’histoire que la force motrice qui l’anime.

Je ne sais plus comment j’ai découvert le compte Meme Press Photo. Je ne sais pas si on m’en a parlé, si quelqu’un m’a transmis un lien ou si je suis tombé dessus par hasard. Mais je me souviens avoir immédiatement commencé à suivre le compte. Il y avait quelque chose qui me plaisait vraiment. Non seulement la plupart des contenus sont très drôles, mais une fois que vous commencez à y jeter un œil, vous ressentez l’envie de connaître les prochains contenus et à qui ils vont cette fois s’attaquer.

Plus je le suivais, plus je me rendais compte qu’il y avait derrière tout cela bien plus que de simples blagues sur l’industrie du photojournalisme. Il y a un semblant de vérité dans l’humour employé. Un humour qui peut servir à rire pour faire face à toutes les difficultés rencontrées par les photographes.

« Meme Press Photo a commencé comme un compte pour mes amis », explique l’un des fondateurs du compte. « Je n’essayais pas, et je n’essaie toujours pas de faire de grandes déclarations. Je n’ai pas l’autorité nécessaire pour le faire. Les mèmes prennent évidemment position sur certains sujets, mais ils n’étaient, et ne sont toujours que des blagues que mes amis et moi inventons. » 

J’avais l’intention d’écrire dans Blind sur la façon dont les créateurs du compte se sont lancés dans le photojournalisme et sur l’histoire qui se cache derrière. Cependant, après avoir lu ma première version, j’ai préféré ne pas le faire, afin de ne pas compromettre leur couverture et de ne pas révéler trop de détails.

Ce que je peux dire, c’est que lorsque la pandémie de Covid est survenue, leur carrière journalistique a véritablement commencé, notamment lorsqu’ils ont documenté le confinement de la ville de New York. Ensuite, il y a eu les manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd. Puis ils ont couvert l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021.

Après avoir obtenu leur diplôme de journalisme trois jours plus tard, ils ont commencé à travailler à plein temps. Actuellement, ils sont photographes salariés à temps plein et travaillent également en free-lance.

Le fait de travailler comme photojournaliste et d’évoluer dans ce monde est à l’origine de la création de Meme Press Photo. Avec leurs amis, ils ont d’abord échangé des blagues sur le monde du photojournalisme. « J’ai commencé par faire des mèmes sur mon compte personnel. J’ai littéralement choisi les plus grandes institutions qui promeuvent l’élitisme et j’ai commencé à faire des blagues à leur sujet », raconte l’un des fondateurs. « Toutes les choses dont nous nous moquions et dont nous nous plaignions sous forme de mèmes étaient tout simplement drôles pour moi et mes amis. C’est toujours le cas. Nous n’avons pas réfléchi à autre chose. Je suis plus surpris de ce que ce compte est aujourd’hui. Ces images sont tellement bêtes, mais je suis heureux que mes amis puissent en rire. »

Si les mèmes sont drôles, ils soulèvent également de nombreux problèmes dans le monde du photojournalisme. Des sujets tels que l’absence de tarifs journaliers décents, l’élitisme, les problèmes de harcèlement sexuel ou les photographes plus âgés qui gardent la main et n’aident pas les jeunes photographes ont tous fait l’objet de divers mèmes.

« Je pense que ces sujets sont tous aussi préjudiciables les uns que les autres, mais ce à quoi je m’attaque le plus, c’est à l’élitisme injustifié et aux égos démesurés. Si vous êtes un photographe dont le travail consiste à couvrir la vie des gens dans leurs pires moments, photographier les personnes en minorité ou opprimées, comment pouvez-vous honnêtement vous regarder et être un connard égoïste. Nous connaissons ces photographes, nous en détestons certains, et notre industrie ne cesse de les récompenser. »

Cette virulente critique de l’attitude de certains photographes n’est évidemment pas une généralité. « Je suis toujours plus impressionné par les personnes qui sont des légendes absolues de la photographie, mais qui ont les pieds sur terre », explique le fondateur de Meme Press Photo. « C’est ce qui compte pour moi, plus que ce qu’ils ont couvert ou l’importance qu’ils pensent avoir. Les gens qui ne ressentent pas le besoin de se montrer sous leur meilleur jour et qui se contentent d’être cool. On pourrait penser que c’est un peu stupide de devoir dire cela, mais tous les photographes comme moi qui lisent ces lignes savent ce que je veux dire… Beaucoup de gens me contactent et me disent qu’ils apprécient d’avoir un endroit où ils peuvent s’identifier et se sentir vus. Cela me rend heureux. »

Un autre sujet abordé sur le fil de Meme Press Photo est l’inégalité créée par de nombreux photographes qui bénéficient du soutien financier d’une famille et d’une richesse générationnelle, alors que ceux qui n’en ont pas semblent pâtir de ce confort monétaire. « L’une des choses dont mes amis et moi parlons constamment, c’est de voir des gens parcourir le monde pour couvrir des événements majeurs, les uns après les autres, pour aucun média, et de se demander comment ils font? Le terrain de jeu de ceux qui doivent faire des petits boulots pour compléter leur carrière de photographe ne sera jamais le même que celui de ceux qui ont de l’argent. »

Cette situation finit par avoir un véritable impact sur le secteur, ceux qui ne peuvent pas gagner leur vie du métier de photojournaliste terminant par être évincés. « Faire carrière dans la photographie est un jeu d’endurance. Beaucoup de grands photographes se font devancer sur des missions, ou sont dépassés en général, par beaucoup de mauvais photographes, simplement à cause de leur avantage financier. »

À ce stress financier s’ajoute le fait que les rédactions d’organes de presse réduisent leur effectifs et que, dans de nombreux cas, les photographes sont parmi les premiers à en souffrir. Selon CatchLight, une organisation en médias visuels qui exploite le pouvoir de la narration par l’image, entre 1999 et 2015, 53 % des postes d’iconographes ont été supprimés. C’est plus que n’importe quelle autre partie d’une rédaction d’un journal. Le Pew Research Center indique aussi qu’entre 2008 et 2020, l’emploi dans les salles de rédaction a chuté de 26 % aux États-Unis. Et la situation ne s’est pas améliorée depuis.

Les petits médias et les journaux locaux ne sont pas les seuls à avoir licencié des journalistes de tous bords aux États-Unis. Le Washington Post, le L.A. Times, Bloomberg et le Wall Street Journal ont tous supprimé des emplois cette année. Les licenciements ne touchent pas seulement les médias traditionnels, mais aussi les nouveaux médias numériques. Vice News a licencié des centaines d’employés et cessé de publier sur son site web, tandis que le journal The Messenger, qui a duré moins d’un an, a fermé ses portes au début de l’année

« Pour être honnête, je ne sais pas vraiment ce qui pourrait améliorer la condition des photographes », explique le fondateur de Meme Photo Press. « J’aimerais donner une réponse réfléchie sur l’état de notre industrie et sur la manière de la sauver, mais je ne peux pas. Je pense que les photographes doivent simplement continuer à travailler et à faire ce qu’ils font alors que nous marchons vers l’oubli. Nous devons tous gagner notre vie, alors si vous aimez faire des images, trouvez un moyen de le faire, que ce soit en free-lance ou à temps plein. »

La situation des journaux américains ne fait qu’aggraver les problèmes du secteur, car le travail lui-même diminue et il devient de plus en plus difficile pour les indépendants de vivre de leur travail. « En ce qui me concerne, je pense qu’il s’agit simplement d’un constant déclin du travail disponible pour les photographes », ajoute t-il. « Je suis trop jeune pour avoir une idée de la situation actuelle, mais tout le monde semble être sous-payé et surchargé de travail, ce qui n’est pas nouveau. L’étau semble se resserrer. J’ai de la peine pour les personnes qui dépendent uniquement du travail en free-lance. » En fin de compte, Meme Press Photo se révèle être un moyen cathartique de faire face à un secteur en mutation, où de nombreux photographes ne savent pas vraiment où ils vont. Les mèmes sont créés à partir d’une expérience réelle.

Si la boîte de réception du compte peut être remplie de messages de colère selon les jours, il y en a tout autant qui expriment des notes de soutien aux fondateurs. Toutefois, Meme Press Photo n’est pas construit sur de l’amertume ou de la colère. Il est produit avec un soutien indéfectible aux photographes qui essaient de naviguer dans un paysage professionnel qui est constamment en mouvement, et instable. C’est un endroit où nous pouvons tous prendre un moment, et rire de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

« Dans l’ensemble, je comprends pourquoi les gens pensent que ce compte est né de l’amertume – ce compte est parfois insensé. Mais ce n’est pas de l’amertume, ce n’est pas de l’indignation. Ce ne sont que des blagues, que les gens l’acceptent ou non. Les gens interprètent les mèmes comme ils interprètent toute autre chose : à travers leurs propres expériences. Certaines personnes sont toujours à la recherche d’un problème. Il est assez hilarant de voir des gens qui se disent journalistes prendre les mèmes au sérieux. »

Meme Press Photo a le don de provoquer soit de l’adoration soit de l’aversion, rarement un sentiment équilibré. C’est ainsi que le compte trouve un écho important auprès des jeunes photographes, tandis qu’il va avoir tendance à énerver les plus expérimentés. « Je leur conseille de s’en remettre à eux-mêmes », répond le fondateur. « Leur époque est révolue et ils ont créé le paysage actuel. Laissez-nous au moins en rire. Beaucoup de gens me contactent et me disent qu’ils apprécient d’avoir un endroit où ils peuvent s’identifier et se sentir vus. Cela me rend heureux. »

Pour suivre Meme Press Photo, rendez-vous ici sur Instagram.

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