Ce fut vraiment l’époque la plus étrange de notre vie.
Une époque sans contacts humains, où les rues étaient vides, les terrains de jeux fermés, où les longues journées se confondaient les unes avec les autres. Une époque où les individus se tenaient à distance les uns des autres, se trouvant inopinément liés par une expérience commune à tous les continents, les pays, les cultures. Nous vivions tous sous le même ciel.
Dans les premiers temps, ce monde nouveau fut presque passionnant. Rien de tel ne s’était jamais produit auparavant. Je me souviendrai toujours de nos premières promenades dans notre quartier, quand de nouvelles restrictions à nos déplacements nous furent imposées. Des touchants messages d’espoir à la craie tracés sur les trottoirs. Des dessins d’arcs-en-ciel, des ours en peluches aux fenêtres, et de l’esprit d’une communauté déterminée à « être soudée dans cette épreuve ».
Mais le temps a passé et la nouveauté a perdu son charme. La craie a été délavée par la pluie, les peluches ont été rangées dans des boîtes. On faisait notre pain, encore et encore.
Un an plus tard, la monotonie de l’isolement s’est mise à régner. Et ce monde dysfonctionnel était le seul dont l’aspirante astronaute a pu se souvenir.
Heureusement, le ciel était toujours là, on pouvait le contempler. Cette source inépuisable de questions, de rêves, de mystères et d’aspirations, qui est là pour les humains depuis qu’ils existent. Si vaste et si profond que tous les tourments de la terre semblaient microscopiques et hors de propos.
Ce ciel infini est ce qui fascinait l’héroïne de cette histoire, ma très jeune fille qui allait bientôt devenir connue sous le nom de « The Rocketgirl ».
Je ne me souviens pas très bien de sa première question, qui a déterminé tout ce qui allait suivre. Je pense que c’était une question classique, telle que « Pourquoi est-ce qu’il fait clair le jour et noir la nuit ? ». Parce que je me rappelle avoir dessiné un petit diagramme. Ce qui a ensuite suscité une idée encore meilleure : éclairer une balle de tennis avec une lampe torche. Et je l’ai faite légèrement tourner, pour expliquer le plus scientifiquement possible le cycle diurne (eh oui, j’ai cherché ce mot pour en être sûr).
J’aurais vraiment dû en apprendre davantage, car à partir de ce moment-là, mon historique de recherche a ressemblé à celui d’un type bizarre qui essaie désespérément de tricher dans un jeu de questions aléatoires sur l’espace.
Les questions allaient de simples « Quelle est la chaleur du soleil ? », à d’autres plus épineuses, telles que : « Lorsqu’on atterrit sur Vénus, on brûle d’abord puis on est écrasé, ou l’inverse? ». Il n’a pas fallu longtemps pour que j’en sache davantage sur l’espace que je n’en ai jamais appris durant toute ma vie.
Cependant, rien de tout cela ne pouvait se comparer à la contribution de la mère de la Rocketgirl. Quand j’ai rencontré Mariya pour la première fois, elle venait d’obtenir son diplôme de costumière de théâtre. Elle n’envisageait pas d’en faire une carrière, mais a perfectionné ses compétences, et elles ont patiemment attendu leur heure pour nous venir en aide.
C’était le jour où ma fille a déclaré, de sa petite voix : « Je veux être astronaute ». La vieille machine à coudre n’a eu d’autre choix que de répondre à ce désir, et les journées d’artisanat en famille (autre point fort du confinement) ont suivi.
La combinaison d’astronaute sur mesure était tout simplement incroyable. Après tout, peut-être cela était-il le signe que la costumière aurait pu faire carrière. Et le casque en papier mâché était probablement le meilleur « dans l’hémisphère sud » – quelque chose que l’on dit souvent ici quand la chose est à peu près réussie.
Avec un tel équipement, rien ne pouvait s’opposer aux plus grandes découvertes à venir. Excepté une chose. Le sixième confinement. Notre distance de déplacement autorisé de cinq kilomètres nous était devenue familière, après les cinquième, quatrième, troisième, deuxième et premier confinement. Alors, que restait-il à explorer, si nous n‘inventions pas quelque chose nous-mêmes ? Tout – j’allais bientôt le découvrir.
Il a fallu la sagesse d’une enfant de quatre ans pour me rappeler qu’aucune destination exotique ou site touristique d’exception n’est nécessaire pour avoir la plus belle expérience possible du voyage. Les aventures les plus étonnantes nous attendaient ici, dans notre arrière-cour. A la condition que nous les rendions un peu magiques. C’est le pouvoir de l’imagination.
C’est ainsi qu’est né The Rocketgirl Chronicles. Une promenade chaque jour. De petites expéditions dans de petits mondes – peut-être humbles en apparence, mais toujours riches en histoires. Des histoires où l’on s’émerveille, apprend, questionne, que ce soit à propos d’une cabine téléphonique, d’un parking ou d’une laverie.
Même les deux heures de déplacement autorisés étaient logiques, quand on se rendait dans l’espace. Et lorsqu’on revenait à la base de lancement, on ne voyait pas le temps passer en réfléchissant, programmant et attendant avec impatience la nouvelle mission du lendemain.
Le sixième confinement a pris fin après 78 nuits, ce qui a valu à Melbourne le record du monde de 262 jours sous restrictions. Mais les aventures de Rocketgirl se sont poursuivies bien au-delà, démontrant que les événements qui ont permis ce voyage n’en ont jamais été la raison.
Je suis heureux d’avoir eu mon appareil photo pour documenter certaines de nos découvertes. Ces photographies recèlent, à présent, les précieux souvenirs des endroits où nous conduisaient nos pas, allant plus loin que tout ce que nous aurions pu imaginer. La petite astronaute a grandi depuis, et plus je regarde en arrière, plus j’apprécie le précieux cadeau que nous a fait cette période étrange. Le cadeau du temps passé avec ma fille.
The Rocketgirl Chronicles, d’Andrew Rovenko peut être commandé sur Kickstarter. Pour plus d’informations sur Andrew Rovenko, rendez vous sur le site Web de l’auteur ou son compte Instagram.