The Americans, le chef-d’oeuvre de Robert Frank, retrace le voyage du photographe à travers les Etats-Unis entre 1955 et 1957, alors en quête de vérités sur l’Amérique. Des 28 000 images qu’il a réalisées durant ces trois années, seulement 83 ont été publiées dans l’ouvrage. Aujourd’hui, pour la première fois, une sélection issue des dizaines de milliers de clichés demeurés inédits est présentée dans l’exposition Robert Frank—Rarities, organisée par la Danziger Gallery à Los Angeles.
L’histoire de The Americans commence avec une bourse de la Fondation Guggenheim que Frank, d’origine suisse et émigré aux Etats-Unis, obtient pour voyager à travers le pays et illustrer la vie quotidienne de ses grandes villes, campagnes et vastes étendues naturelles. En même temps qu’il documente la vie des Américains « ordinaires », il saisit la disparition d’une certaine Amérique, ce qui donne à cette œuvre du milieu des années 1950 l’aspect d’une capsule temporelle.
Une certaine mélancolie imprègne toutes les images de Frank réalisées durant cette période. Hollywood Premiere, 1955, par exemple, montre l’actrice Kim Novak dépouillée de son glamour, floue, dans un instant où elle se détourne d’une foule exubérante: ne se sachant pas observée, elle s’assombrit, son visage affichant une authentique émotion. Dans une autre photographie, discrètement prise sur un plateau de cinéma, on découvre des acteurs costumés pour le film, et qui attendent, apparemment, le début du tournage, lassés, voire ennuyés. « Je crois que les gens aiment ce livre parce qu’il exprime ce que l’on pense et dont on ne parle pas », dira Robert Frank dans une interview pour le New York Times en 2015. « Il montre ce qui les préoccupe. »
Les photographies de Robert Frank révèlent une Amérique sans fard, et suggèrent que l’âge d’or du pays n’en était peut-être pas un. Jack Kerouac, le célèbre poète et romancier de la Beat Generation qui a préfacé The Americans, dira par la suite que Frank, « a extrait de l’Amérique et mis en image un poème triste, qui a sa place dans la poésie tragique de notre monde. »
L’Amérique typique a sa place dans ces images: ici, la peinture murale d’un drapeau, là une publicité pour une marque de voiture, là, encore, un tronçon d’autoroute qui semble sans fin. « Il a découvert une nouvelle beauté dans des lieux tout simples de la vie américaine que l’on négligeait – les rues, les petits restaurants », écrit Sarah Greenough, conservatrice du département photographie à la National Gallery of Art de Washington. « Il a été le premier à s’intéresser à ce qui est, à présent, devenu emblématique : les voitures, les juke-box, la route elle-même. »
L’une des images de cette sélection est particulièrement poignante. Elle représente un homme âgé, photographié de dos, et son costume mal ajusté ansi que son chapeau évoquent un tableau de Magritte qui aurait pris vie en noir et blanc. L’homme observe un champ où une vache broute au loin, comme s’il regardait le paysage pour la dernière fois, et y voyait une Amérique sur le point de disparaître. C’est une chance que Robert Frank ait été présent, à cet instant, pour saisir tout cela.
Par Christina Cacouris
Christina Cacouris est une journaliste qui vit entre Paris et New York.
Retrouvez toutes les images inédites:
Robert Frank—Rarities
Jusqu’au 3 avril 2021
Danziger Gallery, Los Angeles.