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Pour sauver la planète, faut-il arrêter de prendre des photos ?

La photographie, même (surtout ?) quand elle traite de sujets environnementaux, a un impact écologique plus important qu’on ne le croit. À chaque technique son fléau majeur : quand photo numérique rime avec obsolescence programmée, l’argentique promet des déchets toxiques pour l’environnement. Face à l’urgence climatique, peut-on avoir une pratique éco-friendly de la photographie ? Trois photographes témoignent.

© Dan Smedley on Unsplash

Il ne se passe plus un jour sans qu’on attire notre attention sur le dérèglement climatique, la pollution des océans, ou notre empreinte carbone. Eco-anxieux s’abstenir, cet article n’y manque pas ! Qu’en est-il pour les photographes ? « Quand on commence à réellement réfléchir au sujet cela donne le tournis ! » reconnaît Nicolas Bigot, photographe en Bretagne. Quelle que soit la pratique d’un photographe, numérique ou argentique, sensibilité écologique ou non, la question de son impact sur l’environnement se pose. « Ramené à une personne ce n’est pas énorme mais vu la quantité de photographes sur terre, ça commence à faire pas mal » observe l’artiste breton.

Numérique ou argentique, peste ou choléra ?

Le constat est vertigineux et rendrait collapsologue tout.e chasseur.se d’image qui se respecte. Certes, les adeptes de la photographie numérique produisent moins de déchets. Mais fabriquer un appareil numérique requiert beaucoup d’énergie, et nécessite l’extraction et le raffinage de métaux rares et de métaux lourds. Or, platine, cuivre, aluminium, plomb se retrouvent ainsi dans maints éléments de l’appareil, tandis que nickel-cadmium et lithium-ion font marcher les batteries. 

Ces ressources ne sont pas seulement en train de s’épuiser, elles sont aussi particulièrement polluantes pour les sols et les eaux. À cela s’ajoute une question d’éthique : les conditions de travail inacceptables dans les mines et dans les usines qui produisent les pièces des appareils.

Ce n’est pas tout. Les appareils numériques sont rapidement obsolètes – on compte à peine cinq ans pour un reflex. D’ailleurs il revient généralement moins cher d’en acquérir un nouveau que de faire réparer l’ancien. Sans parler du chargement et du changement des batteries, des cartes mémoires…


© Chuttersnap on Unsplash

Pire encore, l’absence de pellicule incite à mitrailler encore et encore, et à conserver pléthore d’images. Et c’est là qu’intervient l’épineux sujet du stockage des données. Dès lors que les photos sont sauvegardées sur le cloud, mises en ligne sur un site ou postées sur les réseaux sociaux, elles sont en réalité hébergées par des data centers. Ces derniers consomment énormément d’énergie, fossile en général, et notamment pour leur refroidissement. On a découvert que 25% des émissions de gaz à effet de serre générées par le numérique étaient dues aux data centers. 

C’est pour ces raisons que Stéphanie Davilma, photographe dans le sud de la France, privilégie l’argentique « J’utilise principalement l’argentique et non le numérique. Mes appareils ont souvent une cinquantaine d’années et je ne cours absolument pas après la technologie (…) Malgré tout, l’utilisation de film argentique est polluant, tout comme son développement, il ne faut pas le nier. »

Oui, autant l’appareil argentique est durable et souvent réutilisé, autant d’autres paramètres rendent son usage polluant : la chimie et les matériaux nécessaires à la fabrication et au développement des films. Les pellicules, couleur et noir et blanc, sont notamment composées de plastique et d’halogénure d’argent. Les développer induit l’usage de révélateurs et fixateurs chimiques, qui constituent des déchets toxiques et finissent dans les eaux usées et l’environnement. Ou en déchèterie si on a des scrupules, mais ça n’en fait pas moins un déchet lourd.


© Jeff Ma on Unsplash

La photo environnementale n’est pas forcément green

Paradoxalement, les photographies qui nous avertissent sur les ravages de la pollution industrielle et nous sensibilisent aux désastres écologiques, ont un bilan carbone non négligeable. 

Laurent Teisseire partage sa vie entre Paris, où il photographie pour la presse des artistes, acteurs, écrivains, et la campagne Bourguignonne, où il mène une vie d’apiculteur. Particulièrement sensible à la protection de la nature, il utilise aussi la photographie pour prôner la pratique de la biodynamie en apiculture. Lorsqu’on lui demande quels conseils il pourrait donner aux photographes soucieux.se de réduire leur impact environnemental, il confie « J’en aurais à donner à certains donneurs de leçon d’aujourd’hui comme Yann Arthus Bertrand… Je pense qu’on peut prendre des photos aériennes autrement qu’avec un hélicoptère. »

Déplacements à l’autre bout du monde, matériels démesurés, hélicoptères, perturbation d’écosystèmes déjà fragilisés : la photographie environnementale défend une cause tout en participant à son effondrement. Car si elle se veut d’utilité publique, son empreinte écologique fait débat. « Les pratiques écolo ne doivent pas être fragmentées, on ne peut pas être un vertueux écolo dans sa vie privée et gros pollueur en public » constate le photographe apiculteur.


© Joseph Pearson on Unsplash

La photographie éco-friendly, c’est possible ?

« Tout comme des efforts et des attentions au quotidien, il est tout à fait possible d’inclure des démarches ou attentions lors des activités photographiques » relativise Nicolas Bigot. Si cette petite dose d’éco-anxiété ne vous a pas fait fuire et troquer votre numérique pour un argentique dont vous ne développerez jamais la pellicule, voici quelques conseils pour avoir une pratique éco-responsable de la photographie.

Bien choisir son appareil, son labo et recycler son matériel

Concrètement aujourd’hui, on a encore du mal à trouver des marques qui utilisent des matériaux recyclés et des labels qui garantissent la durabilité des appareils photo numériques. Cela devrait évoluer positivement, en France en tout cas ! Le 30 janvier dernier, le Sénat a adopté à l’unanimité le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Celle-ci vise entre autres à lutter contre l’obsolescence programmée dans le numérique, en appliquant un indice de réparabilité et de durabilité, et en favorisant l’utilisation de pièces détachées. 

Son application sera effective d’ici quelques années. Dans l’intervalle, on conseille de limiter sa consommation d’énergie, de matières premières et sa production de déchets en acquérant des appareils d’occasion ou reconditionnés. Ces derniers sont remis sur le marché après avoir été nettoyés, révisés et vérifiés. Plus chers que ceux d’occasion, ils sont plus performants et bénéficient de garanties.

De grandes enseignes encouragent le recyclage en collectant les appareils usagés. Elles s’engagent à extraire les substances dangereuses de chaque appareil, les traiter, et recycler la majorité des matériaux afin d’en faire des matières premières secondaires. Mais ces process restent opaques et peu traçables. Dans tous les cas, il faut agir en amont, en limitant ses déchets numériques.


© Zarak Khan on Unsplash

Concernant l’argentique, on peut être plus exigeant vis-à-vis de son laboratoire photo, comme Stéphanie Davilma  « Je ne développe pas mes films, je laisse faire un professionnel qui peut éliminer la chimie selon des règles plus strictes, voire recycler certaines composantes. » Des entreprises s’engagent en effet à avoir une pratique plus écologique et à respecter des chartes éco-responsables. En ré-utilisant de l’eau de pluie notamment, en employant des révélateurs moins toxiques, du papier recyclé ou en recyclant leurs déchets. Les résidus du développement photo peuvent par exemple servir à fabriquer du gravier pour la construction.

Ces dernières années, des alternatives aux modes de développement standard se sont multipliées. Celle du caffenol est la plus connue. Cette technique permet, au moyen de café, vitamine C et cristaux de soude, de développer des films.

Parfois, il suffit simplement de limiter ses tirages « Je scanne mes négatifs pour éviter les tirages superflus et de manière générale, la lenteur de l’argentique m’impose de produire moins d’images et de le faire de façon plus réfléchie. L’impact écologique n’est donc pas nul mais il est autant que possible raisonné. »

Être sélectif.ve sur ses sujets et travailler localement

Plus facile à dire qu’à faire, or cela contribue réellement à diminuer l’impact environnemental d’un.e photographe. « Je vais aujourd’hui privilégier des reportages qui ont pour sujet l’écologie, dans mon territoire, pour le nouveau parc national qui vient d’ouvrir par exemple, plutôt qu’un reportage à l’autre bout du monde. Je privilégie le local. » Laurent Teisseire a l’opportunité non seulement d’exercer sa pratique là où il habite, mais en plus de traiter des sujets environnementaux qui lui tiennent à cœur, et se laisse l’option de ne pas ou plus travailler pour des clients dont il ne partage pas l’éthique : « J’essaie aussi de choisir les clients (…) Je ne suis pas certains de vouloir retravailler pour la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). »


© Holger Link on Unsplash

Ce n’est pas réaliste pour tout le monde, mais des ajustements sont toujours possibles, comme le soulève Stéphanie Davilma « j’essaie d’exercer mon travail localement. Ce n’est pas toujours évident de ne pas être basée à Paris, mais je pense qu’il est plus cohérent de faire des documentaires, des reportages ou même des éditos localement plutôt que de se déplacer sans cesse. C’est parfois nécessaire pour certains sujets spécifiques mais j’essaie de ne pas le faire si cela me semble superflu. »

Ne pas toucher à l’environnement, sauf pour le nettoyer

C’est basique mais ça peut aussi impacter positivement un shooting dans la nature, et compenser un déplacement par exemple. « Lorsque je pars en séance photo en extérieur je prévois toujours un sac réutilisable afin de ramasser les déchets que je peux trouver sur mon chemin. Surtout pour les séances en bord de mer ! J’essaye de laisser le moins d’empreinte possible sur mon passage lors de séances dans la nature. Je m’adapte toujours au décor tel qu’il est, je ne vais pas couper des branches qui me gênent dans mon cadre » conclut Nicolas Bigot. 

Ceux qu’on a tendance à appeler “des petits gestes” peuvent faire toute la différence d’un point de vue environnemental. Mais aussi participer de la démarche même de la création photographique ?


© Samuel Thompson on Unsplash

Par Charlotte Jean

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