Rivka S. Katvan est une new-yorkaise d’adoption. C’est durant les années 1970 que la photographe d’origine israélienne s’installe dans la Big Apple pour faire ses études. Un soir, une amie actrice l’emmène jusque dans les coulisses de Broadway, où elle entame sa célèbre série de photos immortalisant la vie des acteurs. Mais bien avant de découvrir son goût pour l’univers du théâtre, elle s’entraîne à la photographie là où elle peut : dans les rues de New York.
Rien ne destine pourtant Rivka Katvan à la photographie. Un jour qu’elle passe dans un couloir de la School of Visual Arts, où elle étudie le design de bijoux, un cours de critique photographique l’interpelle. Par l’entrebâillement de la porte, le professeur l’invite à entrer. Le scénario est digne d’un film hollywoodien, mais c’est bien comme cela que Rivka S. Katvan découvre sa vocation : « Il a dit, entrez, rejoignez-nous, et ça a tout changé. Je n’avais qu’un Instamatic, et cela m’a poussée à acheter mon premier vrai appareil. Et puis un jour, j’ai eu mon premier studio à New York ! »
S’affûter le regard dans la rue
Pour une photographe en herbe, la rue de New York offre d’inestimables opportunités de pratique. Il y a toujours une scène à immortaliser. Rivka Katvan trouve l’inspiration sur le pas de sa porte : « J’ai commencé par photographier le concierge de mon immeuble et ses enfants. J’habitais un bâtiment sans ascenseur qui datait du XIXème siècle qui avait l’avantage de se situer à quelques pas de la School of Visual Arts… Ce qui ne m’empêchait pas d’arriver systématiquement en retard en cours ! Je me suis liée d’amitié avec mes voisins, dont une femme d’origine italienne de près de quatre-vingt-dix ans. Elle avait l’énergie d’une jeune fille de vingt ans. Je me souviens d’elle, assise sur son lit, avec ses grandes croix, et du revêtement en linoléum du sol de son appartement, que j’aimais beaucoup photographier. Elle avait passé sa vie là, son mari l’avait quittée, et elle était restée. »
Auprès de ses premiers modèles, le regard de Rivka S. Katvan s’affûte. Elle sait pénétrer l’intimité des personnes qu’elle photographie. Pour les inciter à se livrer devant son objectif, Rivka Katvan peut compter sur sa sympathie à toute épreuve. Face aux acteurs de Broadway, aux prisonniers de Sing Sing ou aux passants new-yorkais, c’est toujours la même méthode : recueillir et porter les histoires de ses sujets. « Je me vois vraiment comme une conteuse d’histoires ! », dit Rivka Katvan.
Même lorsqu’elle photographie des objets inanimés, Rivka S. Katvan tisse des histoires visuelles poignantes. Comme dans sa sérieReflections, consacrée aux mannequins exposés dans les vitrines, de laquelle il se dégage une mélancolie étrange, inattendue : « Les mannequins sont des objets, ils ne peuvent pas vous parler, mais ils font partie de cette ville : ils se fondent littéralement dans le paysage de New York lorsque les monuments iconiques se reflètent sur leurs vitrines. Sur cette photo où l’Empire State Building se dessine derrière un mannequin, par exemple ».
La magie de New York
Une chose interpelle lorsque l’on regarde pour la première fois la sérieNYC in Black And White : impossible de deviner l’époque où les photos ont été prises. Un cliché de petites filles qui jouent dans la rue en faisant tourner leurs robes pourrait bien dater des années cinquante. Et puis non : on tombe sur une image des récentes manifestations en faveur du mouvement Black Lives Matter. Il y a aussi cette photo prise dans le métro, où un homme a le visage illuminé par l’écran de son smartphone. Entre toutes ces images, une étonnante homogénéité de couleur et de style.
Rivka S. Katvan a commencé par photographier en noir et blanc pour des raisons économiques. Dans les années soixante-dix, la pellicule couleur coûte plus cher. Mais aujourd’hui, lorsqu’elle utilise un appareil photo numérique, elle convertit souvent ses photos en noir et blanc, ce qui entretient l’ambiguïté autour de l’époque : « Pour la photographie de rue, la couleur joue un rôle important. Le noir et blanc est intemporel. Il est difficile de savoir au premier coup d’œil, à quelle décennie remontent les photos ! »
Rivka Katvan évoque une photographie de deux femmes fumant sur un escalier de secours d’un immeuble typiquement new-yorkais : « La photo a l’air de remonter aux années quarante ». Mais Rivka Katvan se souvient avoir pris cette photo depuis le parc suspendu High Line de l’arrondissement de Manhattan. Or ce parc a été inauguré en 2009…
Ne jamais sortir sans son appareil photo
La photographe s’est accordée quelques hiatus dans son travail auprès des stars de Broadway : à la naissance de sa fille, par exemple, ou pour se consacrer à d’autres projets, comme la confection de bijoux. Mais pendant toutes ces années, elle n’a jamais arrêté la photographie de rue : « Je ne sors jamais sans mon appareil photo ! »
Son amour pour la photographie de rue est indissociable de son amour pour New York, cette ville aux mille visages qu’elle a fait sienne : « J’aime beaucoup sortir me promener les jours où il fait beau. Je décide parfois d’explorer des quartiers dont j’ai moins l’habitude. Le Lower East Side, par exemple. C’est de l’exercice physique, et ça me permet de faire de la photo ! »
À la différence de son travail en coulisses, la photographie de rue permet à Rivka S. Katvan de saisir les opportunités imprévisibles, venues de toutes les directions : « Dans les coulisses, vous travaillez dans un seul endroit, avec des gens que vous connaissez. Il est plus facile de rester concentré. Vous avez l’impression d’être une initiée. Ce n’est pas la même chose dans la rue. Je préfère passer inaperçue : j’ai un petit appareil photo, qui me permet de passer pour une touriste – personne ne me remarque ! J’ai aussi un objectif de longue focale pour prendre des photos à distance. »
La photographe, extravertie de nature, choisit souvent d’aborder les passants auxquels elle trouve des qualités photogéniques. Elle complimente leur attitude ou leur tenue, ce qui provoque toujours de belles rencontres. Un jeune homme auquel elle a trouvé beaucoup de prestance dans la rue l’a conviée à photographier son salon de coiffure. D’autres artistes lui ont proposé de prendre en photo leurs ateliers. Même si cette méthode fait rire son mari, photographe professionnel lui aussi : « Mon mari me dit : tu as bien du culot ! ». La dose nécessaire aux facéties de la rue new-yorkaise.
Par Joy Majdalani
Joy Majdalani est une rédactrice et créatrice de contenu basée à Paris. Elle écrit sur la technologie, l’art, la culture et les questions sociales.
Plus d’informations sur Rivka S. Katvan ici.