Une photographie de la Terre vue de la Lune, datant de 1968, ouvre la récente publication d’Aperture, Seeing Science : How Photography Reveals the Universe. «Sereine, même si elle est un peu inquiétante, cette photographie révèle la beauté fragile de la planète marbrée, bleue et blanche, et fait apparaître l’insignifiance de la Terre vue de loin dans l’immensité de l’espace. Le merveilleux et le sublime que suggère la photographie scientifique sont des sous-produits fréquents de celle-ci, et le changement de paradigme des images peut troubler l’esprit en même temps que le dégriser», écrit le directeur de la publication, Marvin Heiferman. Et je ne peux m’empêcher de songer au Whole Earth Catalog de Stewart Brand. »
Publié pour la première fois en 1968, The Whole Earth Catalog a été conçu «comme un outillage de référence concis permettant d’améliorer le monde et de s’améliorer soi-même». L’Amérique semblait s’orienter vers un affrontement de générations qui déchirerait la société, le monde se disputait la domination de l’espace et Brand rassembla des informations qui devaient permettre de répondre à des questions de fond relatives au sens de la vie. « Pourquoi, se demandait-il, n’avons-nous pas encore vu une photographie de la Terre entière? » Si nous en avions vu une, expliquait-il, le progrès aurait suivi un cours tout différent.
Un nouveau regard, de nouvelles connaissances
L’objectif de Seeing Science est similaire à celui de l’ouvrage de Brand. Le livre examine l’évolution de la science et le rôle joué par la photographie à chacune de ses étapes – cette évolution de la science et de l’image étant évoquée à la fin de l’ouvrage, à travers une saisissante chronologie s’étendant sur 3 000 ans. Bien plus qu’un simple recensement, il s’agit d’un aperçu de la manière dont «la photographie, née de la science et façonnée par celle-ci, a transformé la nature de l’observation et multiplié les paramètres de la connaissance et de la conscience qu’a l’humanité d’elle-même », note Heiferman.
Bien que l’espace soit ce qui frappe le plus l’imagination, l’ouvrage ne se limite pas à l’infiniment lointain. Il explore plutôt l’extraordinaire éventail des occurrences de l’image dans le domaine scientifique – physique, photographie de la nature, ethnologie, médecine, criminalité, sciences du comportement, archéologie, océanographie, technologie. A chaque domaine correspond un dispositif différent. Les rayons X révèlent l’invisible, le film permet d’étudier le mouvement, l’imagerie sous-marine est une voie d’accès au grand bleu. La photographie est un outil pour les chercheurs, mais elle familiarise également le public avec la culture scientifique. La représentation a façonné notre perception de la science – n’est-il pas vrai, s’interroge l’éditeur, que les photographies de James Ball des premiers ordinateurs ont rendu la technologie belle, voire « sexy »?
Dans le domaine des sciences, la photographie en est venue, semble-t-il, à servir d’autres fins que scientifiques. L’ouvrage évoque les portraits réalisés par Alphonse Bertillon, commis aux écritures à la préfecture de police, portraits utilisés pour l’identification des récidivistes. Un siècle plus tard, le système anthropométrique de Bertillon a été transformé et perfectionné pour fournir des critères de reconnaissance faciale. En manière de bouclage, une section du livre est consacrée à l’artiste Nancy Burson, qui a collaboré avec les ingénieurs du MIT pour explorer la capacité d’un ordinateur à simuler les effets du vieillissement grâce au morphing. Les résultats de cette recherche ont été, par la suite, utilisés par le FBI pour mettre à jour les photos existantes d’enfants et d’adultes disparus.
La science au cœur de l’art
Un point fort de l’ouvrage réside dans la sélection d’artistes qui ont utilisé, dès le début de leur carrière, une imagerie et des techniques émergentes. «Jusqu’à présent, l’on n’a pas maîtrisé la tâche de photographier des sujets scientifiques et de les rendre accessibles au plus grand nombre tout en veillant à l’exactitude, déclarait la photographe Berenice Abbott à la fin des années 50. Le regard de l’artiste est nécessaire en ce domaine […]. Aujourd’hui, la science a besoin qu’il s’exprime. » See Science inclut des compositions abstraites et géométriques de B. Abbott, illustrant diverses expériences dans un manuel de physique pour les lycéens. La science flirte ainsi avec l’abstraction, et le fera bientôt avec la science-fiction, comme l’annoncent les photographies inquiétantes de l’artiste français David Fathi présentées dans les archives en ligne du CERN. Les différents centres d’intérêt s’entrecroisent, générant tout un éventail de possibilités.
À cet égard, Seeing Science peut inspirer les photographes désireux d’élargir leur langage visuel, que ce soit pour résoudre des problèmes éthiques et sociaux ou pour développer leur médium, en exploitant de nouvelles possibilités visuelles. Ceci peut conduire à la fiction – comme dans l’inventaire surréaliste de la faune de Joan Fontcuberta – ou, s’il y a lieu, servir à des fins de sensibilisation et d’activisme. Le journalisme scientifique a un rôle important à jouer dans le débat actuel sur l’environnement. Des extraits de la discussion en ligne, le 1er décembre 2016, entre des experts de la culture visuelle réunis pour sélectionner des nouvelles relatives à la science et des photographies publiées dans les media sont transcrits dans l’ouvrage, et soulèvent des questions importantes quant aux problèmes auxquels est confronté le journalisme scientifique. La photographie de paysages et de nature contribue sans aucun doute à façonner l’opinion publique – l’exemple de la fonte des glaces montrée par James Balog, en 2007, donne une preuve irréfutable de celle-ci. Mais pourquoi, se demandent les experts, ne pas fournir d’informations à propos d’une crise sanitaire ?
«Seeing Science : How Photography Reveals the Universe»
Par Marvin Heiferman, Avant-propos de Scott Kelly
Co-publié par Aperture et l’Université du Maryland, comté de Baltimore
224 pages, 45 $