De 1979 à 1984, « appareil photo à la main », Sergio Purtell a sillonné l’Europe de la Norvège à la Grèce, d’un train de nuit à l’autre. Depuis New York jusqu’à Londres – « partie la plus rituelle de [s]es voyages » – le jeune photographe s’embarque alors vers le Nord ou le Sud du Vieux continent, « berceau de l’art occidental » créant chez lui un véritable « sentiment d’appartenance ». Américain d’origine chilienne, ce sentiment naît aussi chez le photographe des réminiscences de sa vie à Santiago qu’il retrouve de capitale en capital, au détour d’habitudes, de bâtiments ou encore d’attitudes.
Edité par la maison britannique STANLEY/BARKER, Love’s Labour nous fait revivre la quête photographique de Sergio Purtell près de quarante années après. A travers le livre, ses photographies semblent, pourtant, préservées de la marque du temps et de ses naïvetés. Purtell nous plonge alors dans les délices et les songes d’un été européen sans fin, où le poids de l’histoire rencontre la légèreté des corps libres, dans un équilibre remarquable.
Voyage au bout de l’Europe
Love’s Labour retrace la cartographie imaginaire des voyages du photographe de l’Angleterre à l’Espagne, en passant par la France, la Grèce, l’Italie ou encore les Pays-Bas et l’Allemagne. Si le photographe confesse n’avoir pas eu « à l’époque, de large plan conceptuel », il se dégage néanmoins de sa série une cohérence parfaitement limpide. De l’Europe, en effet, Purtell capture un sentiment, une manière d’être et de jouir de la période estivale. Cherchant à immortaliser « les petits gestes de la vie », le photographe oriente sa pratique vers les attitudes de ceux qui la font, pourvues qu’elles reflètent un peu de cette Europe historique qui le fait « se sentir comme chez [lui] ».
Un motif architectural, le titre d’un livre (Der Steppenwolf) ou un encart publicitaire : ces seuls indices distillent dans les photographies de Love’s Labour la possibilité d’un ancrage géographique à travers le Vieux continent. Si le cadre change, les attitudes demeurent et se répètent : sur les pelouses ou au bord des piscines, les corps nus s’étirent et s’alanguissent ; au bord des fontaines et sur les bancs publics, les personnages s’absorbent dans leurs pensées, caressés par les rayons du soleil. L’insouciance, pourtant, n’irradie pas de ces clichés. Aux plaisirs de l’été s’associent des visages songeurs, parfois las. Les Européens de Purtell semblent s’afficher et être à l’image de leurs racines : ils résistent au passage du temps comme les statues qu’ils ont érigées, avec superbe et gravité.
Des heures au soleil
Dans un noir et blanc impeccable, Purtell atteste à travers ses images d’un maniérisme pourtant non feint, à une époque où les gens « ne posaient pas immédiatement ou ne présentaient pas leur meilleur profil ». Il ressort pourtant de ses photographies un sentiment cinématographique prégnant, un sens inné du cadre rappelant autant Alain Resnais que Robert Bresson, dont Purtell cite volontiers Pickpocket. Assis dans l’herbe, un verre de vin rouge à la main, les regards d’un couple se croisent sans se voir, conduits par leurs propres réflexions. Ils font face, au milieu d’un parc, à une statue conquérante, sorte d’Hercule laissant place, en arrière-plan, à un penseur en pleine introspection. Pour Sergio Purtell, « les images doivent avoir une structure intrinsèque, qui leur donne métaphoriquement vie ».
Siestes urbaines, complicités amoureuses, jeux aquatiques des enfants sont autant de moments authentiques et intemporels auxquels Purtell donne vie. On pourrait passer des heures à observer ou à imiter ce dormeur citadin posté devant la Tour Eiffel, ces lecteurs sur transats ou ces rêveurs nocturnes attablés aux terrasses des cafés. Il y a quelque chose de noble et de décadent dans cet été européen, comme un objet précieux laissé trop longtemps au soleil.
Love’s Labour de Sergio Purtell est publié par STANLEY/BARKER. 112 pages, 40£.