La semaine d’ouverture des Rencontres d’Arles a débuté par une température assez inhabituelle pour la saison dans le sud de la France. À peine 30 degrés à l’ombre, et des bons coups de mistral. Elle s’est terminée par un samedi pluvieux pour le coup unique, « une triste journée » selon de nombreux festivaliers, aux allures de clap de fin des festivités.
Si la météo a fait des siennes, cette 55e édition du plus important festival de photographie au monde est en revanche en de nombreux points une grande réussite. C’est un moindre mal, tant les cinq ou six éditions précédentes ont pu décevoir par leur programmation en demi-teinte.
Cette année, les organisateurs ont en effet eu la bonne idée de présenter des travaux qui créent un lien étroit avec le quotidien du spectateur, avec comme bases la compassion, l’humanité, l’engagement social, la solidarité, l’acceptation de l’autre, la conscience des défis de notre époque. Alors que la France entière était en apnée politique.
Tour d’horizon
Pénétrer dans les cryptes d’Arles pour (re)découvrir le projet de Sophie Calle, qui rapporte comment des non-voyants peuvent nous raconter la beauté, la couleur, la dernière image qu’ils ont vue, est une expérience magnifique, la plus belle de ce festival, si touchante de simplicité.
S’immerger dans la très complète installation de Cristina de Middel sur la migration sud-américaine par le Mexique est une expérience déroutante, où les sentiments forts s’entremêlent, entre fascination et tristesse, aux frontières du mysticisme. Il faut s’asseoir sur ces bancs d’où sort une musique typique du pays et contempler son travail lentement pour comprendre l’existence de ces gens qui sont prêts à mourir de soif et de chaleur dans le désert pour rejoindre les États-Unis et y vivre dans l’illégalité, pour quelques dollars de plus.
S’imprégner du travail ultra sensible de Vasantha Yogananthan sur la Provence, qui illustre avec une si belle intimité les petits moments simples de la vie, le respect que nous devons aux choses et aux êtres vivants, est une expérience indispensable dans le monde d’aujourd’hui.
Découvrir une rétrospective de la carrière de Mary Ellen Mark, c’est se rendre compte de l’immense compassion que cette grande dame de la photographie documentaire a développé envers les plus faibles, toute sa vie, avec une énergie inébranlable, et une photographie d’une telle puissance.
Monter au premier étage de la Fondation Manuel Riviera Ortiz pour découvrir le travail d’Anas Aremeyaw Anas, de Muntaka Chasant et de Bénédicte Kurzen, lauréats du Prix Carmignac du Photojournalisme pour leur travail sur les flux transfrontaliers des déchets électroniques, fait profondément réfléchir sur notre consommation en électroménagers, téléphones portables, ordinateurs, télévisions… Une enquête minutieuse, entre données à la pelle, images et témoignages.
Quoi d’autre? Rire ou s’inquiéter de cette géniale série signée Bruce Eesly, réalisée en imagerie par intelligence artificielle, et représentant les fermiers du futur. Vraiment s’inquiéter de l’avenir de l’Amérique en visitant l’exposition de Debbi Cornwall, fidèle à elle-même, dans un style documentaire d’une originalité unique. Voyager à Brooklyn, à Harlem ou dans le Queens avec l’exposition sur le graffiti, qui parle si bien de l’aspect brut des rues de New York.
Se dire que voir enfin des images de sport exposées à Arles, Jeux olympiques oblige évidemment, est une expression de la démocratie en photographie. Passer d’une exposition japonaise à l’autre, et se rendre compte combien le peuple du pays du Soleil-levant a de respect pour le vivant, et en parle avec une finesse que nous européens ne pouvons imiter.
Pour quelques euros de plus
Cette année le budget des Rencontres d’Arles a atteint 7,45 millions d’euros (la billetterie représente 39% du chiffre d’affaires). Sur le plan financier, il faut aussi souligner que les personnes qui vous accueillent à l’entrée des expositions ne sont pas bénévoles. Les Rencontres emploient une cinquantaine de salariés à l’année, auxquels s’ajoutent un peu plus de 300 personnes sur des contrats de 6 mois, pour le montage des expositions, la billetterie ou encore l’accueil.
Les photographes, eux, perçoivent 2 000 euros pour une exposition monographique, 500 euros pour les expositions collectives de moins de 10 artistes, et 300 euros pour plus de 10 photographes. Les commissaires d’exposition sont, eux, dotés d’un forfait de 3 000 euros, à partager s’ils sont plusieurs.
Si on fait les comptes en voyant large, au regard des 38 expositions officielles auxquelles s’ajoutent 10 autres expositions associées, c’est au maximum 300 000 euros (soit seulement 4% du budget total du festival) qui sont reversés aux indépendants qui tentent de vivre de la production de la photographie. On peut éventuellement ajouter les cachets des professionnels de l’industrie qui, dans le cadre des portfolios reviews du festival, sont invités à accueillir les photographes pour donner leur avis sur leur travail. 200 euros versés par journée pour les reviewers, mais 300 euros à payer pour 10 portfolios reviews pour les photographes.
Nous aimons toutes et tous les Rencontres d’Arles. Y être exposé est une grande opportunité, s’y rendre est un moment fort en émotions. Cette année, l’édition du festival a une saveur particulière. Mais une question subsiste sur de nombreuses lèvres. Où va donc tout cet argent, quand il n’est pas reversé aux photographes, artistes, créateurs de contenus, ceux-là mêmes qui font que le festival existe?
Les Rencontres d’Arles, « Sous la surface », du 1er juillet au 29 septembre 2024.
Photo de couverture : Numéro un. Rallye « Save America ». Youngstown, Ohio, série Citoyens modèles, 2022 © Debi Cornwall. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.