Il fut un temps, au siècle dernier, où les célébrités n’étaient pas défigurées par des retouches numériques qui les transforment en spectres dociles. Willy Rizzo incarne à merveille ce passé simple qui rendait grâce à chaque visage par des jeux de lumière s’accordant à son regard confiant en la nature humaine.
Qui est Willy Rizzo, né le 22 octobre 1928 à Naples et mort le 25 février 2013 à Paris ? L’un des photojournalistes vedette de Paris Match, où il travailla pendant plus de vingt ans (1949-1970), à une époque fertile, l’hebdomadaire tirait alors à deux millions d’exemplaires et mélangeait habilement grands reportages, scoops et chronique people.
J’ai rencontré Willy Rizzo grâce à Serge July, le boss du journal, qui, une nuit, avait partagé une partie de poker (je crois) avec lui. « Tu sais qu’il a bien connu Marlène et Marilyn », m’avait dit Serge, épaté par cet homme volubile, qui tutoyait le Tout-Hollywood et adorait les Alfa Romeo. Il parait que les adolescents du vingt-et-unième siècle ne savent pas qui est Marilyn Monroe, et encore moins Marlène Dietrich. Si c’est vrai, c’est aussi grave que la crise climatique…
Le 20 avril 2004, Willy Rizzo m’avait reçu dans son appartement cossu près des Champs-Élysées. Il m’avait offert du chocolat noir, son péché mignon et celui de Christian Dior : « J’en suis dingue, mais ce n’est rien à côté de Christian Dior. Je l’ai vu travailler, tourner autour d’un mannequin, suivi par un assistant qui lui tendait une boîte de chocolats. Une aiguille, hop ! un chocolat, une aiguille, un autre chocolat, et ainsi de suite… Il en mangeait une boîte par jour, il était accro, il en est mort. Moi, je ne peux pas m’endormir sans un petit carré. »
Willy Rizzo était un conteur-né et sa vie, un roman photo. Sa mère l’imaginait magistrat, comme son grand-père, mais le petit Napolitain, lui, se projetait sur grand écran. Premiers pas à la revue Ciné Mondial avec un Rolleiflex acheté au marché noir. Passage à Images du monde, puis en route pour l’aventure américaine avec New York, Chicago, Los Angeles. Avant d’être embauché à Match, il voulait s’enraciner à Hollywood, dont il connaissait chaque divinité, féminine comme masculine.
Respect mutuel. Marlène : « Elle avait un côté Madame Je-sais-tout, donnant beaucoup de conseils, par exemple, mes lunettes teintées l’agaçaient et mes chaussures marron aussi. Elle avait un don pour ne jamais paraître naturelle. » Marilyn : « Je l’ai photographiée en 1962, quinze jours avant sa mort, elle ne cachait pas sa tristesse… Elle a été d’une douceur et d’une docilité étonnante, à des années-lumière de son image publique. » Robert Mitchum : « Il imitait Clark Gable à la perfection. »
Ces portraits hollywoodiens, en noir et blanc ou en couleurs, sont étonnants. Les visages ne sont pas sacralisés, ils respirent. Aucun désir de perfection, le photographe ne cherche pas à diviniser ses modèles, il reste dans une proximité bienveillante, comme à égalité avec son sujet. Partage de la réalité ? « C’était du vrai journalisme. Les gens ne se rebiffaient pas car nous étions courtois. Il n’était pas question de photographier quelqu’un sans son consentement, même si nous pratiquions aussi la photo à la volée. Moi, j’avais une bonne réputation, j’étais gentil et correct, ce qui est essentiel pour convaincre les modèles ou leurs agents. Et je n’ai jamais refusé de retoucher un mauvais pli… »
Sa recette miracle : « Il n’y a aucune règle pour photographier quelqu’un, surtout quand il s’agit de gens qui le sont sans cesse. Moi, j’aime être assez près. Les yeux ont de l’importance, et si vous n’avez aucune idée, cela peut vous sauver. Ce n’est pas dur de portraiturer quelqu’un, mais il faut du talent. Et le talent, c’est comme l’amour, c’est mystérieux, personne ne sait d’où ça vient. »
Willy Rizzo avait toujours un mot agréable pour ses pairs, ceux de Match (« le plus beau d’entre nous, Jean-Pierre Pedrazzini »), comme ceux qu’il croisait ici et là. Helmut Newton, avec lequel il aimait à parler des paparazzi (« Discrétion, rapidité, patience, telles sont les qualités des paparazzi »).
Ou Irving Penn, côtoyé au temps de Vogue quand Rizzo faisait de la photo de mode : « Il travaillait sans bruit, sans musique, même son assistant devait porter des semelles de crêpe. Avant chaque prise de vues, il faisait repeindre tout le studio en noir, seule la source de l’objet à photographier était éclairée. Moi non plus, je ne mettais pas de musique, et les filles disaient : “Oh Willy, mets-nous un disque pour qu’on se réveille ”. Mais je refusais, sachant qu’elles allaient m’oublier et ne penser qu’à la musique. Penn, c’est un numismate de la photographie ; pour une robe, il faisait cent photographies. »
Malgré sa fantaisie naturelle, Willy Rizzo était plutôt un photographe classique, un esprit synthétique, même s’il ne manquait pas d’audace. Ainsi lorsqu’il immortalisa Bernadette Lafont en louve romaine, entièrement nue, un portrait « magnifique » qu’adore la galeriste Agathe Gaillard. Ou lorsqu’il accepta les caprices de Salvador Dali, réclamant la scène de l’Opéra avec une danseuse étoile. Ou lorsqu’il fit poser André Pieyre et Bona de Mandiargues, comme s’ils répétaient une pièce d’Harold Pinter, elle, collier de perles, bras nus et mains sur les hanches, lui, à terre, comme terrassé par le trac.
Délaissant la photographie, Willy Rizzo a aussi dessiné du mobilier lorsqu’il vécut à Rome : « La photo et le mobilier, c’est la même gamberge. Je n’avais pas envie d’avoir des meubles suédois avec des posters de Warhol. » Ses meubles – canapés, tables tournantes, consoles, lampes – eurent beaucoup de succès, on peut encore les acheter.
Un temps, il s’y consacra, puis revint à sa passion, la photographie. À laquelle s’associa son épouse Dominique en classant tous ses négatifs empilés dans des valises. « J’ai toujours aimé mon métier, j’en suis fier. Nous avons été parfois considérés comme de faux artistes qui copiaient la vie. Or, c’est l’inverse, nous avons sauvé des visages de l’oubli. »
Certaines citations sont extraites de Mes stars, l’album secret de Willy Rizzo, Filipacchi, écrit en collaboration avec Jean-Pierre de Lucovich & Mémoires d’une galerie, Agathe Gaillard, paru chez Gallimard en 2013.